• Chronique d'un égarement 




         Je suis perdu. Tout va bien. Il fait une journée magnifique. Les champs sont en herbe, le ciel plus près de la terre, mais je suis perdu.
         Est-ce l'âge ? Ce sentiment d'être partout à côté. Ou alors ici, mais totalement. Si bien que les choses me submergent.
        
    J'essaie de résister : entretenir la vie, répondre au téléphone, faire bonne figure. Parfois, c'est comme un éclat : j'y suis vraiment, je ris, les autres se rapprochent. 




     



    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>      </o:p>Aujourd'hui est un jour comme un autre.
        
    Ou peut-être non, à cause de l'été précoce. Globalement, pas de raisons de se réjouir (petits malaises, grèves, guerres, massacres), mais le matin ressemble à l'enfance. Aux matins de l'enfance, je veux dire. Avec cette légèreté du ciel plus vif dans les arbres ou près du rouge des géraniums entrevus à une fenêtre d'un dernier étage. La fenêtre était ouverte. J'ai pensé que toute une histoire pourrait s'écrire à partir de cette seule fenêtre ouverte. ce qui se passerait dedans, dans l'obscur de l'encadrement. Aucun drame. La vie, simplement, avec ses hauts et ses bas. Ce qu'on ne peut jamais dire...


     <o:p>                                                                        </o:p>                                    

        
    Décidément, je suis perdu. Je vais, je viens. Je voyage, je dors. J'aime la lumière du matin. C'est comme une porte entrebâillée : elle va s'ouvrir, je le sais. Mais elle ne s'ouvre pas. Ou si peu. Alors je regarde par l'embrasure. Je vois une sorte de clair, avec des yeux. Une rue aussi, une silhouette qui s'approche. Elle tient un enfant par la main. Elle passe sans me regarder.<o:p> 

    </o:p>
    <o:p></o:p><o:p>                                                                             

                                                                               
    </o:p>
                    

        
    Pourquoi s'obstiner ? Jardin, maison, campagne, ville ressassent leurs couplets. Je les entends, je les écoute même. Je les reprends avec eux. Et soudain c'est comme si tout m'abandonnait. Je balbutie, je me tais. L'amour lui-même m'égare un peu plus.
    <o:p>           -- </o:p>C'est toi ?
               -- C'est moi.
    <o:p></o:p>
                                                                 




          Ma main se tend. Comme si elle quittait mon corps. Je la vois toucher la tienne, mais comment la rattraper ? Le jour va trop vite -- et la nuit. Même quand j'y suis, il est trop tard.


     <o:p>            

                                                                    
    </o:p>

    <o:p></o:p>        L'été vient de face comme un insoutenable regard. Dans le chêne, des morceaux de bleu qui bougent. Ou les feuilles, les yeux, comment savoir puisque tout se tient. On fume. On parle. Ce que je veux dire je ne le dis pas. Autre chose, toujours. Ces menus riens, mouches, pailles ou cris d'enfants. Et l'attente, là, quelque part entre gorge et ventre -- une sorte de vide que rien ne remplit, ni l'ombre, ni la lumière, ni les paroles, ni leur envers. Si je marche, quelqu'un marche avec moi, un peu en avant, il m'oblige à le suivre, à courir parfois. Si je dors, il traverse mon sommeil. Je crois savoir : erreur : je ne sais pas puisqu'il se réveille avant moi, brouille chacune de mes pensées, éclate de rire quand je suis sombre, me ferme la bouche quand je crie. Alors, comment ne pas être perdu même au milieu d'un jour sans histoire : lumière, silence et ciel trop bleu ? L'histoire, on le sait bien, est ailleurs. Pas là où l'on croit, en tout cas. Très loin, tout près, cancer invisible qu'on détecte toujours trop tard. D'un jour sur l'autre un avion ne cesse de passer comme si tout -- gestes, ombres sur le sol, feuilles agitées par le vent, mouche et, sur l'écran l'interminable vertige d'une image sans futur -- s'était arrêté.
    <o:p>                                                    </o:p>

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  • Ramón Gómez de la Serna Lettres aux hirondelles et à moi-même, présenté et traduit par Jacques Ancet, André Dimanche éditeur, 2006<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>




    </o:p>
              Lettres aux hirondelles et à moi-même est un volume tardif : publié en 1962, il reprend deux titres antérieurs parus respectivement en 1949 et 1956. Ce qui en fait une sorte de condensé de toute l'œuvre de Ramón, puisque les deux lignes de force de son travail s'y rencontrent dans leur apparente opposition : tendance à l'inventaire du monde extérieur (Lettres aux hirondelles), tendance autobiographique à l'exploration de soi (Lettres à moi-même)
                Avec les hirondelles et les missives qu'il leur envoie à raison, dit-il, d'une par printemps pendant douze ans, c'est l'ouverture du monde, sa perpétuelle fugacité en même temps que son perpétuel renouveau, qu'il célèbre, fidèle en cela à cette attention aux réalités les plus humbles qui est au centre d'une grande part de son œuvre. Ici comme ailleurs, le monde dans sa continuité et son inachèvement -- dans sa continuité inachevée ou son inachèvement continu, son seul sens -- apparaît dans l'essentielle discontinuité de la perception humaine. De ce clignotement incessant et de cet inachèvement, Ramón témoigne inépuisablement.
               
    Ramón se veut baroque et il l'est. Non seulement dans l'exubérance d'une écriture du débordement mais au sens plus profond où sa fécondité, sa pyrotechnie verbales ne font que masquer l'angoisse du vide -- la conscience de la radicale fugacité, donc de l'absurdité, de la vie humaine. Cela, il se le déclare à sa manière dès sa première lettre à lui-même  -- « Les images me distraient pour m'empêcher de trouver la non-image, qui est la véritable image » --, et c'est ce qui permet de relier la double correspondance, si différente en apparence qui constitue ce livre. Lettres aux hirondelles, c'est encore le Ramón jongleur de mots et de formules, le prestidigitateur tirant de son chapeau, hirondelle après hirondelle, les images de l'inépuisable beauté du monde, pour s'en couvrir les yeux et ne pas voir le désespoir de son destin, quand Lettres à moi-même c'est au contraire le Ramón introspectif et amer, acharné à poursuivre l'entreprise autobiographique de toute une vie et qui, après Automoribundia, trouve encore le courage, par le biais de cette insolite correspondance avec lui-même, de regarder en face sa propre déréliction.




    Lettres aux hirondelles



    Prologue

    <o:p> </o:p>          Ce livre est né d'une lettre qui m'est venue comme une déclaration d'amour, puis sont venues les autres, toutes écrites avec la spontanéité de celui qui aime.
                L'hirondelle signe d'immortalité notre passage sur terre et appose son joyeux cachet sur notre passeport qui ne sera valide à son heure que s'il porte trace de cette parenthèse volante.
                Je ne sais si ce livre est court ou long, mais ce que je sais c'est qu'il manifeste une aspiration spirituelle, jaculatoire, vers tout printemps à venir.
                Quand les hommes institueront les fêtes logiques de la vie, il y aura la fête des hirondelles.
                Les hirondelles ont une telle importance que Cocteau, dans son adolescence, éprouva la plus profonde angoisse à l'idée de mourir sans avoir exprimé « les cris des hirondelles » et Dali a imaginé que « les cathédrales de New York tissent bas et mitaines pour vous, les hirondelles, ivres et trempées de coca-cola ».
                Les hirondelles imitent de leurs cris et de leurs sifflements les coups de freins des autos quand elles retiennent leurs quatre roues au seuil de l'été.
                L'hirondelle se baigne un instant dans l'eau comme la main qui frôle le bénitier puis trace le signe de la croix de son vol.
                L'hirondelle qui, rapide, passe le coin de la rue semble apporter dans son bec une épingle à la dame qui en a besoin de toute urgence.
                Trois hirondelles arrêtées sur le fil du télégraphe forment la broche de la soirée.
                Les hirondelles ouvrent les pages des livres purement contemplatifs comme d'incessants coupe-papiers ramenés d'Alexandrie.
                L'hirondelle réussit à aller aussi loin parce qu'elle est la flèche et l'arc à la fois.
                L'hirondelle est une écriture, bâtons et virgules réunis par la plume pressée du scribe espiègle du destin.
                Elle n'est pas minuscule. Rappelez-vous. Elle est parfois venue sur nous, prenant une taille imposante et menaçante, phénomène qui ne se produit avec aucun autre oiseau, comme si elle occupait à elle seule l'écran*que nous regardions.
                Elle nous a fait cette frayeur et nous ne pouvons l'oublier.
                Leur mystère de Hai-Kai nous laisse parfois supposer qu'elles sont nées d'un coup de pinceau chinois.
                Elles ne font pas que siffler, elles ont un pépiement qui nous asperge pendant leurs vols les plus paisibles.
                Son épilepsie ignore la routine, soudainement la prennent des tremblements qui effacent la sérénité de son vol.
                Le zigzag et le caquetage qu'elle fait, mince et effilée, pour entrer dans son nid ont un air de sorcellerie. Tout cela se perd soudain, comme si elles restaient dans la distraction suprême, inaperçues, volant si haut qu'elles sont comme des moustiques de la photosphère, jouissant dans ces hauteurs sans fleurs, de la volupté de la hauteur.
                On voit qu'elles ont le devoir de repeupler le monde, mandat céleste de leur destin, et c'est pourquoi elles sont inquiètes pour leur nid, montrant qu'elles craignent l'homme comme si elles en avaient entendu dire beaucoup de mal, multipliant les tours pour dérouter avant d'entrer dans leur nichoir.
                Elles traversent les murs, coupent de biais les crevasses.
                Elles sont les moustaches et les barbiches du ciel.
                A certains moments, en formations d'anciennes batailles, elles passent devant nos yeux avec la rapidité des lances des lansquenets lancés à l'assaut du château. (C'est ainsi que la pluie oblique de la pointe des lances qui tombait en l'air, biseautait le ciel aux yeux du blessé).
                Si elles apparaissent, c'est que la mort vous a épargné ce dernier hiver. Soyez-en sûrs. Elles le prouvent.
                Posées sur les fils du télégraphe elles sont comme cette phrase musicale écrite sur les albums par le musicien.
                Le printemps tout entier amène un cornet d'hirondelles et l'ouvre pour qu'ait lieu ce magique repeuplement du ciel qui proclame la continuité de la vie par-delà la continuité de la mort.
                Le secret de mon amour pour elles c'est que je ne pourrais jamais trop parler de ce qu'elles sont, car parler pour parler est impossible avec les hirondelles. C'est pourquoi d'autres scoliastes ès hirondelles en sont morts, ils en ont parlé à l'excès, ils ont trop joué les raffinés, ils ont cru qu'elles pourraient autoriser la trahison de l'image.
                L'éventail sur lequel elles figurent ne doit pas être sophistiqué et pour l'ouvrir il faut montrer beaucoup de délicatesse, car il se froisse à la moindre brusquerie.
                On dirait des bêtes mais ce sont des âmes, des prête-noms, des exécutrices testamentaires, des marraines volantes.
                C'est pourquoi la réussite du poète c'est d'en avoir fait les seules répliques de l'amour au balcon, les frémissantes interférences qui révèlent que la passion qui doit être consommée, doit l'être immédiatement, car la mèche se noircit et se consume en même temps que la lumière
                Quelle est la vignette du papier à lettres de tout après-midi ? Les hirondelles. Il doit y avoir une raison.
                Je n'en fais pas des monuments en leur donnant cette importance de revenantes, de demoiselles qui veillent sur les idylles, d'ultimes confidentes au désespoir d'amour, de continuatrices pleines d'espoir, puisque celles qui ne reviennent pas, ce sont Araceli ou Pilar, et non pas elles
                Nous sommes dans un monde où, si l'on y pense bien, le plus important c'est de recevoir tranquillement les hirondelles, sans intrigues, comme si nous étions réunis pour dire un joyeux rosaire, plein de vie, récité dans le plaisir de les regarder.
                Exercices spirituels d'hirondelles, texte d'un livre à la reliure de nacre, divagation nostalgique qu'il est loisible de relire un autre jour d'une autre année à l'heure où il y a des âmes suspendues aux balcons, voilà ce que j'ai voulu faire avec cette litanie dans laquelle, si une métaphore a été répétée – j'ai essayé de faire en sorte que non – pardonnez-la, parce qu'une litanie c'est un peu une répétition.
                L'important, c'est d'être dans le ton, mystiques, élémentaires, avec un regard de moribonds vivants, brûlants, bienveillants qui vont vivre de longues années grâce à la brève oraison des hirondelles, à la lecture et relecture de ces lettres qui vaudront encore mieux quand elles seront jaunies.
                J'ai écrit ces lettres une à une, au fil des ans, et bien que l'une d'elles ait été écrite au milieu d'une guerre sanglante, on peut voir qu'aux pires moments de l'humanité il est possible de lever les yeux vers les hirondelles et vers le Dieu qui est toujours au-dessus d'elles.
                Je m'adresse à toutes les hirondelles, à l'hirondelle aux ailes bouclées (Stelgidopteris serripennix), qui utilise les gîtes abandonnés par les martin-pêcheurs, à l'hirondelle des greniers (Hirundo horreorum) qui, en collant aux poutres des boulettes de boue, fait son nid en forme de coupe, à la Petroche lion lunifrons, qui fait son nid en forme de calebasse, à l'hirondelle arboricole (Tachycineta bicolor), qui se nourrit du fruit des arbres, à l'hirondelle américaine, au martinet bleuté (Progne subis), qui a la plus grande taille connue, avec ses vingt centimètres de long.
                Et comme dernier avertissement préliminaire je dirai que si tant de souvenirs adressés à Bécquer en post-scriptum de toutes mes lettres peuvent paraître suspects, il faut me pardonner, parce qu'une fois adressés je ne pouvais cesser de les lui adresser, et qu'il m'aurait semblé ingrat de l'oublier comme si, ce faisant, j'avais ignoré ce grand frère dans l'au-delà des hirondelles.




      Lettres à moi-même



    Cher Ramón,

    <o:p> </o:p>       Aujourd'hui c'est encore et encore le même jour, car le monde ne connaît qu'un seul jour, qui se répète et se répètera jusqu'à la fin du monde. Ce qui fait la différence de ce jour unique ce sont les pensées, les événements politico-guerriers, les fait-divers crapuleux.      
            Toi, tu es nécessairement à la campagne et moi je suis en ville, volontairement. C'est ce qu'ont décidé les autorités bipartites, et il faut s'y plier, entre autres choses, parce que ce n'est qu'ainsi, et grâce à cette séparation en deux, qu'il peut y avoir une correspondance entre nous.
             
     La vallée où tu vis a la tristesse de la pampa, et pour plus de désolation encore, tu n'as en face de toi que le cactus à taille humaine, le contemplateur de toutes les désolations.
              
    La moitié de nous-mêmes, que nous le voulions ou non est solitaire, face à des horizons qui nous enferment plus que les quatre murs que sépare la lumière artificielle.
             
     Je sais, grâce à toi, à quel point m'entoure la Nature et à quel point elle m'attend qu'elle soit galet ou scarabée.
               
    Ne crois pas que j'ignore qu'il me faille aller vers cette vallée ultime, où il n'y a personne et où l'on n'entend pas siffler le train.
               
    Mais je lutte encore ici, payant durement loyer, nourriture, électricité.
               
    Dès que perdrai l'équilibre et tomberai à la renverse dans le fauteuil où j'écris, je sais bien que j'entrerai dans cette vallée solitaire, et son jour plein de crépuscule.
              
    Je veux retarder l'événement et donc je prends des médicaments, je prends le soleil dans un patio, je prends des cours de langue pour parler avec le néant du trajet, le temps d'arriver au lieu où il n'est pas besoin de mots, où l'on a l'éloquence de la lumière.
              
    Je lézarde et lézarderai longtemps avant d'arriver à cette vallée ultime, mais je sais bien que je suis en chemin –– je l'ai été dès ma naissance –– ; tout vient à point à qui sait attendre.
               
    Les images me distraient pour m'empêcher de trouver la non-image, qui est la véritable image.
               
     Inutile d'aller dans un consulat se faire faire un passeport pour la non-image, car dans les consulats on ne donne de sauf-conduit pour aucun endroit lointain ; et ce dont j'ai besoin, c'est d'un passeport pour les montagnes artificielles qu'il y a dans cette ville, avec droit à ce qu'on m'augmente les hauteurs de l'écorce afin de me trouver, plus que nulle part ailleurs, au centre de la croûte terrestre et ses crevasses.
               
     Je sais que j'ai perdu et que je continue à perdre mon temps à ne pas pouvoir trouver l'univers de la non-image pour le mettre dans des images compensatrices d'os attendris, de harpes pulmonaires, d'apaisement de la peur.
                
    Parfois dans les couloirs j'ai approché cette possibilité de consolation, mais je n'ai pu attraper le traîneau qui y passait.
                 
    La non-image, nous pourrions l'atteindre en glissant la main dans les armoires obscures à quatre heures et demie du matin, mais sans en ouvrir les portes, en retirant les cintres des vêtements changés en parachutes pour la chute du vol vers le haut.
                 
    Tu dois croire que je divague, mon cher frère, mais tu te trompes. Je ne divague pas, je cherche à m'approcher, à prendre par les cornes la corne d'abondance qui s'échappe, à m'agripper au milieu du séisme.
                 
     La ville est sur le point de s'éveiller, de se leurrer une fois de plus, d'ignorer que la non-pensée est cela seul qui sauve du torrent qui nous entraîne vers la catastrophe, de la cataracte à la cascade, de la cascade à la mer.
                 
     La non-pensée et la non-image supposent la non-lettre et donc, pour voir si je t'écris mieux la prochaine fois je te quitte et je t'embrasse.                                                                                                                                Ramón.



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  • Philippe Rosset
    Trahisons du crépuscule
    Alidades, 2006

    Trahir la trahison


         La voix qui parle ici, quitte quelque chose. Avant tout, peut-être, ces voix dont elle vient et d'abord celle d'un Rimbaud et celle d'un Trakl dont on entend encore les échos et dont elle recueille l'entêtant  chromatisme: « La goutte dorée terminait le chemin. La flaque bleutée saigna de l'amour. Un filet de diamant coulait dans le lit des rivières. L'ascension s'abîma dans la rigole ». D'où ce ton aujourd'hui pour nous intempestif et qui, justement, nous fait dresser l'oreille. On écoute. C'est tout un passé qu'abandonne cette voix : celui d'un certain expressionnisme fin de siècle associé aux images lumineuses d'une Antiquité rêvée : « Parmi les figuiers, au-delà des mers et du ciel, il a marché le long des murs éboulés. Il a senti de près le temps écroulé. Il a touché l'âpre senteur des heures antiques ». Il y a là comme le rêve d'une éternité qui s'éloigne, la chute d'un paradis perdu (« Tant de ruines dans un monde neuf ») sans doute marqués par la distanciation du « il » et l'usage insistant des temps du passé. Et, bien entendu, par les larmes : « Il pleura, et la larme rendit hommage au crépuscule du minéral ».
       
     Pareille nostalgie, pourtant, s'accompagne d'une assurance inattendue. Car cette voix est sûre d'elle-même, malgré ses tâtonnements. Elle a le sens de la formule et de la vision : « En plein jour il a vu déjà la trahison. Les astres comme lui ne mentent guère au zénith ». Tout empreinte du crépuscule de ce dont elle peine à se déprendre, elle fait signe, en même temps vers quelque chose qui pourrait bien être une autre lumière : « Moi – trahi par le crépuscule, je me réfugierai dans la chaleur de l'aube, désormais certain de trouver la foi ».
        
    Foi dans la vie ? Dans l'ouverture du temps et du monde ? Ce que cette voix cherche elle l'ignore. Mais c'est cela qui l'aimante. Et c'est ce qu'on aime en elle : ce retournement qui la pousse, en lui donnant forme dans ces poèmes, à quitter la fascination de l'autrefois -- à trahir la trahison, puisque, nous est-il dit au terme de ce parcours, « La trahison trahie dit une vérité sur l'homme. »


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  •  L'heure de cendre


    L'heure de cendre (Opales, 2006)



    .............

                Ecoute. Ne serait-ce que le bruit de mes mots
                ces courbes que font les phrases
                leurs ruptures aussi
                comme les battements d'un pouls mal réglé
                parfois tu t'y reconnaîtras
                tu verras que quelque chose existe toujours
                un geste, une manière de se gratter le front, de respirer
                mais ne crois pas que je veuille te retenir à tout prix, non. J'aimerais seulement que nous écoutions ensemble ce qui nous appartient encore un peu le jour qui s'achève, comment te dire
                je t'imagine, j'hésite : il est six heures, les lumières
                vont bientôt s'allumer
                tout en parlant, je sens qu'un autre est là, j'entends le rythme de sa respiration, le timbre de sa voix, presque
                comment me croire alors? Mais je ne te le demande pas. Ecoute-moi, simplement
                sans cesser tes gestes quotidiens : écrire une lettre, faire chauffer la soupe, mettre le couvert, que sais-je
                l'eau qui coule les bruits ne me gêneront pas : le tintement des cuillers, le froissement bleu des flammes du gaz, l'eau qui coule du robinet, et
                même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m'écouter, tant pis, tu seras là, encore un peu
                je saurai qu'il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur. Mais les mots me suffisent
                l'espace de ta présence que je sens, même si je ne te vois pas avec la nuit
                tout ce qui fait cet instant si différent des autres malgré l'angoisse — ou peut-être à cause d'elle
                transparence noire où brillerait chaque éclat de la vie
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p>            Laisse-moi m'approcher un peu plus, avec ces mots que je cherche



                de longues heures nous séparent du matin. Traversons-les ensemble

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