• OBEISSANCE AU VENT III

     

    La silence des chiens (1980-1982) Ubacs, 1990, réédition publie.net, 2009 et publie.papier, 2012.

     

     chaque soir, tu entends, ça recommence, visage et mains croisées, ombre d'une tête et froissement de pages, chaque soir dans l'approche de l'automne ou du printemps, entre deux heures indécises, quand la saveur des jours s'estompe, revient ce bruit, écoute, sur la lueur du ciel près de s'éteindre, sur le silence, cette déchirure, ce bruissement, appel peut‑être ou angoisse ou pur volume sonore simplement, n'existant que pour lui‑même, tu tressailles malgré toi, tu n'y prêtes apparemment aucune attention mais ça te pénètre, descend quelque part pour remonter un jour, résurgence inattendue comme ces souvenirs insignifiants, tu sais, le bruit, soudain, de son bracelet tintant lorsqu'elle s'habillait ou ce rouleau compresseur gris sur le bord du boulevard, tu regardes tes mains, tu écoutes la nuit, son frôlement de chose épaisse, tu n'entends plus rien, tu vas dormir maintenant, mais il y a cette chose, cette voix sans voix avec ton coeur qui bat sur l'oreiller, attendant le sommeil, l'éboulement obscur, ou parlant sans savoir, mot à mot, suivant ce mouvement de phrases en toi comme le coeur, pulsations, images blanches, respiration lente, sinueuse, sans le vouloir, parce qu'il le faut, dans l'étirement du temps, un jour encore mais les mêmes gestes la même lampe la nuit toujours, un drôle d'insecte qui se débat, long corps bleuté, luisant, ailes transparentes, heurtant l'abat‑jour, bruit sec, désordonné, tombant sur la table, courant un instant, accompagnant le mouvement de la main qui écrit, un verre vide où se reflète la lumière, l'énigmatique visage de shakespeare sur un livre dans l'ombre, les craquements du bois, un bruissement de mouche, l'odeur de la pomme et du sang, le froid du cuir et du métal, les couleurs voilées, les lettres, tout ce qui fait cet instant infini avec ce bruit encore, ce cri dehors, peut‑être, dedans, tu ne sais pas, écoute, tu dois l'entendre, ta main se lève pour prendre les ciseaux, un couteau, un crayon simplement et reste immobile, coupée dans son élan, cet appel, oui un appel, avec pourtant quelque chose de plus sauvage, une violence, tu vois, très vite, bleu, oeil fixe et trouble en même temps, doigts crispés, tu penses, qu'est‑ce qui m'arrive, debout, immobile, soir ou matin, heure quelconque du jour, trois heures dix par exemple, cinq heures vingt‑cinq, tasse et soucoupe, lit, fauteuil, reflet de l'ampoule électrique sur les faïences bleues de la salle de bains et peut‑être, alors, cet appel, de nouveau, si proche qu'il en devient intolérable, tu dis, mais enfin qu'est‑ce que c'est, ou alors presque rien, au contraire, un murmure vague mais continu, comme la vibration d'une corde qui ne s'éteindrait pas, même de jour dans la lumière un peu jaune de septembre, un après‑midi calme avec des vaches, un chien couché dans l'herbe, la tiédeur encore de l'air, tu l'entends, comme une basse lointaine, une ombre sous les heures où, malgré la beauté, la vivacité des choses, quelque chose semble toujours finir, ne jamais commencer non plus, rester à ce point de violence brute et calculée à la fois que ne cessent de couvrir mots, phrases, pages, livres, images accumulés, tu ne vois plus rien que du gris, tu n'entends plus que cette rumeur, ce cri parfois, le même sans doute traversant des jours lisses où soirs et matins se confondent, où tu restes seul à te regarder les ongles, assis dans une grande pièce vide, à te demander ce que tu fais là et vivre à quoi ça rime etc., tandis que le matin se lève en rose et cendre sur les toits avec des voix, des portes claquées, un moteur, la radio quelque part, des mots qui flottent, s'effacent, reviennent, mais autre chose te retient maintenant, les deux bords mal joints du papier peint créant un hiatus désagréable dans la rangée de fleurs de la tapisserie que tu regardes longtemps, jusqu'au vertige, autre chose encore, bruit de bouche, salive, ou simplement goutte à goutte d'un robinet, grincement du parquet sous les pas, cela remonte de très loin, tu cherches à percer la pellicule, l'instant, ses perspectives infinies, fuyantes, tu t'es perdu, tu regardes tes ongles, il n' y a pas d'instant, un avion passe, interminablement, et derrière son vrombissement tu entends encore, cette espèce de cri, appel, enfin cette chose à laquelle tu voudrais bien donner un nom, et tu le trouverais, rassurant, au détour d'une phrase, ah ce n'était qu'un chien, et tout rentrerait dans l'ordre, et tu poserais ton stylo, il n'y aurait plus rien à dire, mais c'est le vide, le noir, façon de parler, bien sûr, comment dire, ce bruit, ce, ce, tu ne sais pas, alors tu continues, tu découvres un chemin, pas très nouveau, un peu insolite, peut‑être, à cause de cette incitation sonore, l'est‑elle vraiment d'ailleurs, n'est‑elle pas muette, purement intérieure, ombre portée d'angoisse ou de désir, tu l'ignores, mais il te semble l'entendre très nettement, malgré la distance, déployant un espace toujours plus vaste où, soudain, tu as peur de te perdre, et sans doute vas‑tu te perdre, quelle importance, puisque tout continuerait, les villes, leurs vapeurs mauves, les arbres seuls sur le couchant, les fourmilières, la chaîne de sang des corps tressés, le ressac, les fonderies étincelantes et rouges, la fatigue, le jour le jour, le vent ondulant sur un champ d'herbes hautes, la chasse d'eau qui chuinte, l'étoile dans l'embrasure, demain, hier, aujourd'hui, tout se qui bouge et bougera sans toi, cette mouche sur la vitre que tu n'écouteras plus comme en cet instant où chacun de tes gestes semble dicté par une force obscure et cependant précise, cette voix peut‑être, ce chuchotement maintenant, écoute, derrière le bruit des pages tournées ou des assiettes ou d'un marteau têtu, cette plainte, plutôt, pareille au grognement de l'estomac rétif, tu sais, tu es assis, tu lis, vivant les phrases qui t'emportent et, imperceptiblement, c'est revenu, grincement discret, persistant, d'abord tu ne remarques rien mais peu a peu tu perds le fil, tu relis les mots sans les comprendre, tout se passe ailleurs, plus bas, un peu au‑dessus du nombril, gargouillis, couinement liquide, obstiné, grognement plus grave, tu écoutes à présent, tu guettes, dans les silences intermittents, un signe, un autre, un autre encore, tu deviens le corps de l'attente, de l'écoute aussi, et c'est bien ça, précisément, cette sorte d'appel, au fond, au loin peut‑être, il n'y a plus que lui, tu le cherches sans le vouloir sous la rumeur du jour, le ronflement d'une bétonneuse, par exemple, dans le clair un peu jaune du matin qui commence, le brusque froissement d'un journal ou la voix de l'enfant qui chantonne, dans le silence de la nuit, tu t'étonnes d'être seul à l'entendre, écoute, dis‑tu, immobile, doigt en l'air, écoute, tu retiens ton souffle ou, au contraire, tu t'enfouis la tête sous les draps, sans savoir pourquoi, tu as peur, tu ne veux pas, mais même quand tu n'entends plus rien, que tout semble rentré dans l'ordre, c'est là, toujours, et, soudain, aux moments les plus intenses, dans l'amour, par exemple, corps polis, luisants, noeuds de silence, cette sorte de plainte, musicale presque, plus douce, peut‑être, mais tout aussi terrible, tu vois une chambre, une ampoule électrique suspendue à un fil, des ombres crues, des taches brunes sur le carrelage au pied d'une chaise, d'autres aussi sur les murs nus, d'un beige sale, quelqu'un, sans doute, va entrer ou vient de sortir, la pièce est vide mais il y a cette chose, comme un hurlement coupé net, éclaboussé contre les murs, le radiateur, les montants de la fenêtre aux stores baissés, un râle muet qui suinte du plafond, du sol, tu sens une odeur de plâtre, d'ozone et d'urine, c'est une attente visqueuse, intolérable comme ce cri, parfois, tu allumes la radio, la télévision, toutes les lumières, tu t'assoies dans un coin, tu ne bouges plus, tes mains deviennent moites pendant que tu écoutes les voix, que tu regardes sans les voir les images, leur lueur bleue sur la nuit de la vitre où tournent les phares, le noir vivant avec le souffle égal dans la pièce à côté, les livres empilés que tu ne comprends plus, il pleut, dis‑tu, ou, il est tard, les choses sont coupantes, tu restes immobile de peur de voir ton sang, son éclat sous la lampe ou ton visage dans la glace, inconnu à force d'habitude, la fleur de chair, les dents, la salive luisante, les yeux qui brillent, fixent les yeux, cherchent la profondeur, goutte d'encre au centre du cercle où tu pourrais tomber, mais tu restes là, accroché au rebord du lavabo, des nuits passent, des jours, les saisons tournent, tu n'as pas bougé, tu écoutes toujours, plainte ou râle, miaulement, peut‑être, grondement, couleur d'un temps qui n'a plus de couleur, signal obstiné, ligne invisible vers ailleurs, tu flottes, tu t'éparpilles, hors de tes gestes, de ta mémoire, hors du jour quand c'est le jour, de la nuit quand c'est la nuit, il n'y a plus rien, seul cette sorte d'appel comme s'engendrant lui‑même, ce cri pour personne, cette rumeur, éboulis où tout retombe et disparaît, passé ou avenir, ton visage, ton corps, tes mains aussi, tendues vers le vide, qui dessinent en fuyant un geste mélodieux...


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  • La chambre vide (1989-1995), Lettres Vives, 1995.
    L'indifférence


    Quelque chose tombe avec le soir.
    La brume est une attente :
    elle monte peu à peu
    disperse la lumière.
    Un train emporte la mémoire.
    Je souffre de ce qui nous
    Sépare.
    Je te regarde.

    *

    Et maintenant
    disent les mains.
    Le jour vient.
    Le matin est un éclair.
    Entre ce qui s'ouvre
    et ce qui se ferme,
    tu es la charnière :
    la limite que je n'atteins pas.

    *

    Dans l'amour, les corps
    se détruisent et s'illuminent.
    (L'heure est un fruit de lumière)
    Soudain, ils sont plus grands
    que leur image, plus beaux 
    mais ils s'effacent.
    Ne reste qu'un miroitement 
    de visages, un silence de mains, 
    des membres qui s'éparpillent
    noirs dans la foudre blanche.

    *

    L'amour qui nous traverse est une eau courante.
    Nos corps flottent, tremblent, se dispersent.
    Reste une buée aux couleurs du jour ou du soir qui descend.
    Comment dire ces choses ?
    Le temps n'est même plus un mot.
    Chaque instant est tous les instants.
    Dans la lumière noire
    seules les mains voient
    la fontaine des formes.

    *

    Le moment où la nuit pénètre le jour
    est invisible
    comme les deux corps qui s'aiment et s'oublient.
    De longs silences les traversent
    plus musique que la plus pure musique,
    un espace pour disparaître et demeurer pourtant.
    Ils ne savent que l'instant
    qui n'en finit pas d'être l'autre,
    ils ne savent que le sang dans la lenteur des mains,
    dans la moiteur de l'impossible
    le lent éclair qui trace et foudroie leur image.

    *

    Nos corps sont une flamme 
    des gestes s'y consument.
    Même la nuit
    le jour commence.
    Nous sommes l'indifférence.

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  •  Ramon Gómez de la Serna
     (Espagne, 1888-1963)
    Automoribundia  (1948)    
               



    CHAPITRE I

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                Je suis né, ou on m'a fait naître -- je ne sais comment dire cela en toute justice -- le 3 juillet 1888, à sept heures vingt minutes dans la soirée, à Madrid, rue de las Rejas, numéro cinq, deuxième étage.
               
    Pourquoi cacher la date de ma naissance? Dans d'autres essais d'autobiographie j'ai menti, mais aujourd'hui, au moment d'écrire mon autobiographie définitive, je ne veux pas commencer par mentir, car je ne veux pas qu'on mette en doute un jour tout ce que j'ai dit. Je démens, donc, être né en 1891, tous les horoscopes qui m'ont été faits étant finalement faux. Et je le regrette étant donné l'optimisme de ceux du 3 juillet de cette année-là!
               
    Mais pourquoi cacher la vérité à des morts qui sont vivants?-- les morts sont des morts enfin morts --. Autrefois je croyais qu'on pouvait vivre toujours, mais dans cent ans tous chauves et, par-dessus le marché, sans cuir chevelu.
                
    Désormais pris aux mailles du monde la première chose que je sentis, ce fut la main de ma mère qui me cherchait dans la scarole de ses fins draps de jeune mariée-- j'étais son premier né--, comme si j'avais pu m'en échapper.
                 
    C'était un appartement obscur dans une rue obscure, et comme j'étais l'enfant de leur lune de miel et cette maison la maison choisie avec soin pour le retour de noces -- il n'y avait pas eu de voyage -- j'ai pensé que mes parents devaient beaucoup s'aimer et se sentir très heureux puisqu'une chambre aussi ténébreuse ne les avait pas gênés. (Je ne sais pourquoi il me semble que je fus sur le point de naître fils d'un garde forestier de la Casa de Campo, qu'il y eut substitution à cette heure aux douces ombres de l'été madrilène et que lui -- le fils du garde forestier -- aurait pu être cette âme qui est la mienne dans la maison de mon père.)
                  
    Madrid, ce jour de juillet où je suis né, se dore à chaque fois et s'enflamme comme pour fêter l'inauguration d'une journée déjà plongée dans la ferveur de l'été. En souvenir du premier 3 juillet que j'ai connu, je vais écrire les mots pleins d'audace et de précision de mon subconcient.
                   
    “... A ce moment-là l'horloge de la salle-à-manger venait de sonner la demie. Tout le fond de la maison était vide comme quand on accueille le monsieur qui rentre de voyage ou comme à l'heure de la mort qui pénètre dans l'alcôve tout au bout de la maison. Mon étouffement avait fini par être si insupportable que je fis un suprême effort et me glissai dans le monde. Quelle tiède atmosphère!
                    
    La première chose que je fis fut de faire pipi sur le globe terrestre (Le monde, je l'ai compris ensuite, méritait ce premier acte de rébellion.) Tout en faisant pipi je m'étirai avec la gracieuse désinvolture du canard qui sort de la boite du prestidigitateur où il était tout aussi invraisemblable qu'il se trouvât. La lumière me blessait  les yeux à tel point que je ne voulus pas les ouvrir. La lumière me cuisait sur tout le corps et allait jusqu'à éblouir mes paupières translucides. Un bruit nombreux, débordant et trop vif, m'excitait et m'assourdissait, un bruit comme celui des charrettes de bidons de pétrole qui passent à la pointe des rues étroites.
                   
    On me lava et  la douche m'arriva comme un cataclysme. Néanmoins, quoiqu'épuisé, je me sentis mieux en allongeant le cou, les bras et les jambes pour me dégourdir d'avoir été recroquevillé si longtemps. Le recroquevillement collait si terriblement, si inflexiblement à la peau que j'avais beau me tortiller dans le désir désespéré de m'étirer, je n'en finissais pas de me déplier. Car il faut voir ce que c'est que neuf mois et quelques jours de ratatinement! Et puis un voyage de huit heures, qui vous recourbe, qui vous gondole atrocement et vous finissez comme si on vous avait tordu la taille et les jambes dans des anneaux de fer! C'est ce moment où l'on est enfermé dans une armoire ou une malle, pendant que son mari à elle récupère les clés qu'il avait perdues et nous en sortons sans savoir si nous pourrons complètement nous déplier!... Donc, un voyage de neuf mois dans une caisse étroite et en diligence depuis Paris, comment ne pas être chiffonné!
                     
    Autour de moi je perçus des choses diverses: la joie que je sois un garçon, que je sois vivant et que j'aie forme humaine; l'espace qui gravitait au-dessus de moi, vaste et agréable. J'étais tout entier comme un regard sensible recueillant des choses imprécises mais réellement proches de moi; des ombre longues et diffuses, des ombres vagues comme celles qui, au plafond de la chambre donnant sur la rue, se reproduisent, bougent, se croisent, s'estompent et se succèdent doucement. Écrasé sous le poids de l'heure de la sieste, je m'endormis. Je m'endormis comme dans ces lits larges et mœlleux des villages, qui nous attendent au bout des voyages, et où, après nous être lavés pour nous débarrasser de toute la poussière accumulée, on dort d'un sommeil réparateur comme nul autre, un sommeil enfoui dans quelque chose comme le premier sommeil.
                    
    Quelques jours plus tard je fus baptisé, et comme la date du baptême est liée à celle de la naissance, je rends compte de l'impression qu'il me produisit:
                     
    “Au-dessus de moi riaient les invités. Les baisers me faisaient trop mal, comme s'ils m'avaient laissé des bleus. L'amitié et la parenté de tous étaient plus claires. C'était une heure radieuse et biblique comme celles où en terre antique on amenait l'enfant dans la maison du seigneur pour le lui offrir avec le présent de deux tourterelles.
                     
    “C'était aussi un jour de beau soleil madrilène sur l'église blanche de chaux, la svelte et citadine église de San Martín avec son cadran solaire au coin de la rue et ses quelques arbres reclus au fond de sa cour, arbres dont les feuillages émergent sur un côté de sa façade, y posant une note douce et terrestre. Du vivant soleil je passai à l'ombre morte de l'intérieur, où m'écœurèrent les denses odeurs du temple, parmi lesquelles je savourais la seule odeur de fleurs naturelles du bouquet posé entre les pieds croisés du Christ, comme un baume à ses incurables blessures. Puis je passai au recueillement frémissant de la chambre des fonts baptismaux, où je m'enrhumais dans sa profonde, dans son odorante humidité de puits sacré.
                       
    “Là tout fut consommé. Quand on m'approcha des fonts baptismaux, cette vision froide et dangereuse me fit pleurer. Comme je n'avais pas été convenablement préparé pour la chose, je crus qu'on allait m'égorger ou me noyer; je résistai autant que je pus et c'est alors que se mirent à pleuvoir sur moi des conseils qui semblaient m'encourager au sacrifice; avec, glissé au milieu un traître pincement pour me faire taire. On me donna du sel qui était vraiment salé (pourquoi, puisqu'on dirait la même chose, ne donne-t-on pas du sucre en poudre?); puis on m'immergea par surprise, ce qui me fit ouvrir la bouche comme un poisson qui s'asphyxie et on me toucha la nuque avec quelque chose de froid. Au milieu de toutes ces cérémonies j'entendis qu'on m'appelait Ramón, Javier, José et Eulogio; les trois premiers prénoms me parurent bien, me le dernier m'indigna; j'aurais bien dit qu'on me l'enlève, mais je ne savais pas parler. Pourquoi Eulogio? Pourquoi?
                      
    Il y eut pour tout le même acharnement. Ensuite on me couvrit jusqu'au visage et c'est ainsi que je sortis de l'église, sans que puissent faire ma connaissance ceux qui espéraient me voir à la sortie. Je n'étais qu'un simulacre, une imitation d'enfant sous une robe blanche et un mouchoir brodé, quelque chose comme le pantin justifiant la fête du baptême.
                       
    “Et finalement tout le monde prit des liqueurs, des petits-fours et du chocolat à ma santé, sans que nul n'ait l'idée de rien donner au champion de la fête, pas même le petit drapeau -- cet inoubliable et fascinant petit drapeau -- qui surmontait le somptueux plateau de friandises, en argent massif comme toujours... Tout au plus, d'insupportables baisers tout poisseux de sucreries.”
                       
    Je suis content de m'appeler Ramón, je l'écris même en lettres majuscules; souvent je suis tenté d'oublier sur un banc de la rue mes autres prénoms et de rester pour toujours désormais avec ce Ramón tout simple, bonasse, fier de sa simplicité.
                       
    Je suis né pour m'appeler Ramón et je pourrais même dire que j'ai le visage rond et joufflu de Ramón, digne de ce grand O sur lequel repose le prénom, exalté par son accent que seule m'escamote l'imprimerie, les majuscules n'étant habituellement pas accentuées.
                       
    Les gens mal intentionnés tentent de calomnier le prénom de Ramón et disent parfois que leur veilleur de nuit s'appelle Ramón. Bien sûr qu'il peut y avoir un veilleur de nuit qui s'appelle Ramón, comme il y en de tous les prénoms, même celui de Rubén; mais ce veilleur de nuit qui s'appellera Ramón sera le plus brave, le moins saoul de cette armée de lansquenets que forment les veilleurs de nuit.
                       
    Ramón résonne avec affabilité dans les rues, les maisons et les promenades. C'est pourquoi, plus que de cette médisance, il est digne de cette délicieuse évocation que chantent sempiternellement les fillettes:

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>                                             O Ramón de mon âme!,
                                                   de mon âme Ramón!:
                                                  
    Si tu t'étais marié
                                                  
    quand nous te le disions,
                                                  
    tu serais maintenant
                                                   
    assis à ton balcon!”<o:p> </o:p>


                Après les hauts et les bas de ces vers inégaux mais affectueux, il y a une brusque torsion du chant qui devient complètement incongru et qui me crispe. C'est comme un ajout, comme la restauration d'une poésie incomplète, une poésie dont, indubitablement, la fin s'est perdue.
                
    Je me mets à rougir un peu quand j'entends les fillettes chanter cette chanson, derrière laquelle on voit leur cœur, et, curieux phénomène, même toutes vieilles, c'est de cette chanson qu'elles se rappellent, avec cette intonation ancienne et passionnée de “Ramón de mon âme!...”
                 
    Il me semble, quand j'entends chanter ce conseil indiscret, que les fillettes savent que je m'appelle Ramón et qu'elles me le chantent pour me faire rougir et pour que je fasse un faux-pas, en trébuchant sur la corde tendue de leur chanson.
                 --
    Vous ne m'aimez pas, je le sais bien -- pourrais-je leur dire ingénument --; mais je vous remercie de ce “Ramón de mon âme” qui résonne si bien dans la soirée paisible et recueille comme une allusion ce qui en moi ne se rend compte de rien, ce qui n'entend qu'un retentissant “Ramón de mon âme” à l'architecture d'arche fleurie:

    <o:p> </o:p>                                                “Si tu t'étais marié
                                         
    quand...
                                                     
    nous...
                                                               
    te...
                                                                      
    le...
                                                                           
    disions...”

              --
    Non, mes petites; vous vous trompez — pourrions-nous leur dire --. Si je m'étais marié quand vous me l'avez dit, je n'aurais jamais été “assis à mon balcon”, mais en train de m'échiner aux plus tristes besognes, et tout le monde se croirait le droit d'entrer dans mon foyer bourgeois... Non... C'est un mauvais conseil que vous me donniez de si bonne heure au bénéfice d'une amie à vous simple, benête, savoureuse comme une pomme et c'est pourquoi je ne vous ai pas écouté pendant longtemps.
                
    Mon prénom me plaît, non seulement pour avoir été à ce point bercé dans les jardins par cet Hymne Nominal de l'enfance qu'est ce “Ramón de mon âme”, mais parce que le prénom de Ramón a de la rondeur, des joues pleines et que lorsqu'on en baptise un enfant, on lui prépare un destin pacifique d'employé des postes ou d'homme de lettres.
                
    Un général Ramón serait trop bienveillant -- donc pas un bon général --, et un banquier Ramón ne serait pas un bon banquier parce qu'il serait un banquier trop généreux.
                
    En Espagne, on ne sait pourquoi, il est très associé aux lettres, depuis Ramón Lull jusqu'à Ramón del Valle Inclán, en passant par Ramón de la Cruz, Ramón Mesonero Romanos, Ramón Menéndez Pidal, Ramón Pérez de Ayala et par ces Ramón à second prénom que sont Santiago Ramón y Cajal et Juan Ramón Jiménez.

    Publié avec d'autres extraits dans la NRF, janvier 2000, n°552


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    OBEISSANCE AU VENT II

    La mémoire des visages (1978-1980) Flammarion, 1983 


    Le jour que tu es

    je recommence, j'essaie encore de te toucher, mettre mes mots sur ton corps, te caresser de syllabes fuyantes, t'étreindre un peu d'une phrase incertaine mais tu t'effaces, tu ris, tu parles, j'écris, tu n'es plus là, entre les jours parfois tu brilles, j'approche la main, quand je sens ta chaleur tu es déjà mémoire, tu t'éparpilles, les lettres dansent, ton visage plus je le vois moins je le connais, les mots le cernent, le trouent, cette ride légère au pli de l'oeil, ce mouvement de la bouche qui se serre, ça n'est pas toi, il pleut dehors, je voudrais que cet instant au moins t'atteigne, l'humide, le ciel de cendre, comme toi ils se dispersent, je continue pourtant, j'épelle ton nom, une fois encore, très vite j'ai cru sentir cette chaleur, ta cuisse contre la mienne, mais même te touchant je glisse, bonjour dis‑tu ou bonsoir, ta voix me frôle, je te cherche, ton corps sombre, hanche épaule cou, je descends un escalier, tu sors, je te vois de dos qui t'éloignes, tu lis, je n'entends plus ta voix, ma main s'arrête, j'écris très lentement, peut‑être ainsi pourrais‑je t'approcher mieux, t'atteindre sans y penser, carrefour de syllabes, appel d'air, je flotte, monte une image mais floue, coloration plutôt, rouge‑blanc, très lumineuse, des mots passent, château pouvoir cheveux voyage pétale ou ville, je ne te vois pas pour autant, le delta du texte s'ouvre, je m'y perds, j'avance quand même, comme tu m'inventes je t'invente, nous sommes une photographie, tu souris, j'ai l'air ailleurs, un peu gêné, je dis, c'est pas possible tout ce temps déjà mais je souris aussi, je viens de finir un livre de ritsos, je suis heureux, comment te dire, tout, comme lavé soudain, neuf, les hommes, l'histoire, le ciel, les choses, petites, infimes, un moustique à l'oreille du nouveau‑né, un mégot, un morceau de coquillage, une goutte étincelante que tu regardes s'évaporer à midi sur le corps aimé, les grandes aussi, c'est le nom qu'on leur donne, la politique, la guerre, les drapeaux, mais vues de loin, aussi insignifiantes, prises dans le tourbillon, l'inépuisable, l'inépuisable, l'inépuisable, dit‑il, de grands pans de bleu me tombent sous les yeux, je te cherche, je continue, tu t'approches, le soir vient, je sais qu'en te voyant je ne vois que ta trace, ce sillage laissé par ton passage, cette main tenant une tasse, un livre, ta voix au téléphone, tu souris, tu es ailleurs déjà, je me surprends à écrire à ma manière la voz a debida, le soleil illumine la table, mon ombre se dessine sur le blanc, elle bouge un peu, quelqu'un parle à côté, je regarde des ciseaux qui brillent, des crayons de couleur, le mur de l'enfance aux milliers de visages, quelque chose monte, le vide, le corps dans la chute des cils, petit jardin à pâques, cinéma du samedi, rougeole et compas du délire, lecture syllabe après syllabe, pe tit cha pe ron rou, plume de l'édredon, riant à en pisser dans mes culottes, un jour de plus dans une pièce claire, je ne t'ai pas trouvée, tu es là pourtant, tu écris, tu te ronges les ongles, ils craquent par moments, tu tournes une page, je voudrais te toucher, je te touche, je ne touche qu'un nom, l'intervalle, l'inévitable, même si tu ne veux pas, l'instant, la plume, là, ici, l'encre brille, s'éteint, tu écris que tu as écrit, tu bouges, ta chaise grince, je suis perdu, je sens ton corps derrière moi, je me retourne, tu n'es plus là, des rayons sur le mur, un peu de soleil éclaire un titre, argentina, l'eau siffle dans les tuyaux, je m'étire, je regarde la fenêtre, n'es‑tu que mon propre oubli, j'écris pour t'effacer, te trouver soudain dans la lumière d'un instant suspendu, l'enfant s'approche en sautillant, vos deux images se confondent, il rit, ses yeux brillent, quelqu'un froisse un journal, ferme une porte, je continue toujours, barrio de santa cruz, tu marches sous les fleurs en cascade, elles sont jaunes je crois et blanches peut‑être aussi sur la visière obtuse d'un policier harnaché moustaches lunettes fumées, comme lui, derrière son bureau, parlant, céline, proust, l'avalanche de dossiers s'était un instant arrêtée au‑dessus de sa tête, mai soixante‑huit, la révolution, qu'est‑ce que tout ça voulait dire, vacarme à peine de loin, brouhaha estompé, cris vite couverts par la rumeur des vagues, le sable vu de près, cataclysmes minuscules, révolutions infimes, les mots crissent, s'entrechoquent en silence, s'immobilisent, plus rien ne bouge, la transparence, le monde entier, l'équilibre, la primevère, le bois empilé, le boulevard de la villette de nuit troué de réverbères, l'aéroport de tokyo, les cris du stade, villa devoto, les computers, la mer qui fume au loin son bleu d'hier, la limace sur une feuille après la pluie, tu énumères et rien de plus, jamais tu n'en n'auras fini et voilà que tu souris, c'est le soir, j'écoute la voix d'antonio porchia, son bruit de source, moi je bégaie dans mon ruisseau bourbeux, je te souris aussi, cavafy me regarde énigmatique derrière le double zéro de ses lunettes, fonctionnaire irréprochable mais non pas au‑dessus de tout soupçon, l'adolescent traverse la rue ailes repliées, cernuda agonise d'amour dans un train via san francisco, il ne pleut plus, le corps s'ouvre aux présages, des cloches peut‑être traversent le noir, signes, virgules, rognures d'ongles, taches de sperme, haleine du bébé dans l'ombre de la chambre, le vol genève‑le caire effrange le silence, je voudrais en cet instant voir ton visage, voir les heures le laver, le polir jusqu'à te reconnaître, ton bras frôle la page, je lève les yeux, tournevis stylos crayons livres, tournée vers moi tu lis, une feuille dans la main gauche, cherchant l'assentiment, tout entière dans la phrase qui te porte, disant qu'en penses‑tu, ou moi, un autre jour, tu m'écoutes distraite entortillant une mèche autour de ton index, un train passe, il semble t'emporter, je suis seul, le ciel est clair, je t'entends marcher, au matin un oiseau chante, la page commence, on pourrait croire à la vie, mêmes objets mais différents dans la lumière, le tournevis, l'éclat des ciseaux, le crayon abandonné sur quelques mots tracés, je te touche, le pollen auréole la phrase, la fleur du corps s'ouvre, les images s'effacent, maintenant commence, pour un instant n'en finit pas, tes mains dessinent mes limites, les détruisent, fureur, tendresse, caresse de l'eau qui coule, la phrase, les tourbillons de l'encre, les syllabes dispersées, la page étale, lenteur, reflet à peine d'une branche qui bouge, toit, soleil, silhouette d'un homme inclinée sur la terre, neige rose de la montagne, je t'écoute écrire, le bruit du stylo sur le bois, ta chaleur m'habite, des larmes font trembler ton image, assise sous la fenêtre tête sur ciel immobile, mais très vite ce froid comme une vitre où mes doigts glissent, tu es derrière, ma gorge se serre, quel jour sommes‑nous articule ta bou­che, quelle heure, ton index pointe vers ta montre, ma bouche s'ouvre à son tour, mes lèvres bougent en silence, il faudrait, je ne sais plus, je me lève, je tourne sur moi‑même, j'ima­gine, le ciel bascule, j'y retrouve en bleu cavafy qui me regarde impassible, je tends la main, la voix de l'enfant traverse le silence, il tousse, il prononce mon nom, tu es là, rien n'a changé


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  • Guennadi Aïgui (Russie, 1934-2006)
            
                                                                   et ensuite -- on dirait qu'on vient d'ouvrir
                                                                   une fenêtre
                                                                   sur un sentier --
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>                                                               et les nuages au-dessus des herbes
                                                                    font l'univers
    <o:p> </o:p>                                                                             Guennadi Aïgui

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>         La découverte de l'œuvre de Guennadi Aïgui, traduite par Léon Robel et publiée en 1976 dans un numéro mémorable de la revue Change : Aïgui / Spicer fut, pour moi, un éblouissement. Il y avait là une poésie d'une densité exceptionnelle qui ne ressemblait à rien de connu en Russie à l'époque. C'était une sorte de synthèse organique entre trois traditions très différentes : l'avant-garde poétique et picturale russe du XXè siècle (Malévitch, Klébnikov), la poésie française moderne (Aïgui est l'auteur d'une anthologie de la poésie française couronnée par l'Académie française en 1972) et la culture populaire tchouvache, sa culture d'origine. Même pour des Occidentaux habitués au révolutions successives de la modernité, son vers troué de blancs, concentré parfois sur une syllabe ou étiré sur plusieurs lignes avait de quoi déconcerter. La syntaxe souvent désarticulée offrait de multiples interprétations simultanées tout en exprimant les difficultés de communication de ces temps difficiles. Les images surgissaient des tréfonds de la mémoire. La ponctuation très personnelle induisait, par les traits d'union et les blancs, des coagulations ou cristallisations de sens tandis que les tirets, les points d'exclamation marquaient des brisures et des élans du rythme. Ce qui était à l'œuvre ici c'était une véritable « pensée rythmique » qui ne « poétisait » pas, qui ne nous donnait pas des sentiments et du sens prédigérés mais des forces, des énergies spatiales et temporelles où monde extérieur et intérieur se confondaient dans un travail de dépouillement du concret à partir de sensations et de souvenirs.
             En même temps, ce qui frappait dans cette poésie c'était, à côté de textes plus longs, plus difficiles, l'extrême intensité et, en même temps, l'extrême nudité, l'extrême simplicité de certains poèmes brefs liés au surgissement toujours nouveau du monde naturel. Comme si, ces poèmes réalisaient avec force la formule de Joë Bousquet : « Toute l'expérience poétique tend à restituer au corps l'actualité de sa naissance ». Car c'est bien de « naissance » qu'il s'agit dans chaque poème d'Aigui. Ou, ce qui revient au même, d'enfance.  Je crois que s'il fallait définir d'un mot cette poésie c'est bien ce mot d'« enfance » qui s'imposerait : enfance de l'être humain, enfance du monde, enfance du langage. Oui, la poésie est un balbutiement, une éclaircie, un langage -- donc un monde -- à l'état naissant. C'est ce que suggère dans sa simplicité et sa transparence non exempte d'étrangeté le dernier poème du dernier recueil publié du poète : Toujours plus loin dans les neiges [1] :

    <o:p> </o:p>SANS TITRE

    Et dans le champ marche un homme
    il est comme la Voix et comme la Respiration
    parmi les arbres qui semblent attendre
    d'être Nommés pour la première fois

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>         Toute la force de l'écriture d'Aïgui, plus que  traduite, « trans-créée » par Léon Robel, est là mais pacifiée, apaisée dans un dépouillement qui à chaque fois nous restitue cette enfance du monde. Comme dans la figure emblématique du bouleau, l'arbre blanc, l'arbre sacré :

    <o:p> </o:p>BOULEAU A MIDI

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>dans l'ardeur de midi
    soudain
    <o:p> </o:p>isolé
    fortement
    le bouleau --
    <o:p> </o:p>éclatant -- comme quelque Evangile :
    <o:p> </o:p>(autosuffisant -- ne dérangeant
    personne) --
    <o:p> </o:p>s'ouvrant -- constamment :
    <o:p> </o:p>se feuilletant d'un bout à l'autre :
    <o:p> </o:p>(tout -- « en Dieu »)

    <o:p> </o:p>         Présent dans cette force naissante de la nature qui en est l'une des manifestations visibles, le sentiment du divin est une constante de l'œuvre entière. Il associe aux symboles-réalité de l'arbre, comme ici, et ailleurs, de la forêt, du champ, de la neige, la religion païenne ancestrale et les signes de la religion orthodoxe en une étrange alchimie. Mais il est surtout le sentiment profond de la Présence -- de « quelqu'un » qui hante ces poèmes (« comme la rencontre / avec « Quelqu'un » -- de l'âme ! » --« comme la respiration de quelqu'une / dans la porte ») ; le sentiment aussi de l'unité (« ô Dieu ! quelle / brûlante Unité ! ») de la non-séparation du monde (égal était –– le Monde ») et de l'éternité brûlant au cœur de chaque instant (« reluisant d'or / l'éternité »).
             Alors quand on a éprouvé à tel point cette présence à soi de l'univers dans la Présence, comment ne pas être sensible au caractère sacré de ses moindres manifestations ? A ce quotidien notamment, dont chaque détail, chaque geste s'illumine souvent, ici, de la lumière -- de l'or -- d'un couchant tout aussi intérieur qu'extérieur -- d'un silence où chaque chose, chaque être prend une place comme définitive dans la simplicité, dans l'unité apaisée du monde :

    <o:p> </o:p>SOIR A DENISSOVA GORKA

    <o:p> </o:p>autour des perches et des pieux
    de nos portail et clôture --
    <o:p> </o:p>partout -- de plus en plus -- c'est le silence... --
    <o:p> </o:p>ô donne-moi cette force simple ! --
    <o:p> </o:p>telle -- la branche qui heurte une branche
    voilà -- je pose ma chope sur la table
    ma sœur ferme le portail
    le vent de nouveau se renforce --
    <o:p> </o:p>et nous n'avons plus besoin d'aller nulle part
    le soleil depuis longtemps s'est caché derrière la colline
    et comme les herbes sont simples et rassemblées
    autour des poteaux de la clôture --
    <o:p> </o:p>un peu prenant part
    en luisant faiblement
    à l'apaisement du soir

    <o:p> </o:p>         Et, puisque le poète sent la fin s'approcher (« car / moi aussi / je brûle / de mon achèvement »), s'il faut quitter ce monde, en s'enfonçant « toujours plus loin dans les neiges », dans cette silencieuse blancheur unifiante qui est l'image privilégiée du divin, que ce soit au milieu de ce « murmure -- fraternel » des êtres et des choses les plus humbles, les plus insignifiants mais comme habités, « érigés », par la force d'une « Harmonieuse Respiration ». Alors, passé et présent, naissance et déclin confondus, tout sera là, dans ce grain d'enfance retrouvée où toute une vie, comme pour la première ou la dernière fois, se contemple :

    <o:p> </o:p>SOUDAINE RESSOUVENANCE

    <o:p> </o:p>un chien qui court à travers les seigles
    comme parmi les cris
    de toute -- la soudaine -- enfance
    parmi
    le déclinant soleil
    <o:p> </o:p>


                                                     

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>     
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>













    [1] Guennadi Aïgui, Toujours plus loin dans les neiges, présenté et traduit par Léon Robel, édition bilingue, Obsidiane, 2005.


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