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Par Tecna1 le 28 Mai 2019 à 15:02
VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
Journal d'hiver
La Porte, 2019
Le 1er. Le voilà. Une mésange picore la mangeoire. Le ciel est si bas qu'il n'est plus le ciel. La bûche flambe. Le monde tourne
Ensuite, le 2, c'est la lumière à travers le rideau. Des ombres passent et repassent. On dit branches. On dit oiseaux. Quelqu'un est là, peut-être. Le monde ne cesse de tourner.
Le 3, la fatigue rampe. Elle se traîne dans les feuilles. On voit venir une lumière obscure. Mais sait-on vvraiment ce qu'on voit ? On tousse. On n'arrête pas de tousser. SAle saison dit une voix. demain ressemble à hier, aujourd'hui à demain. D'ailleurs rien ne ressemble à rien. C'est l'hiver.
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Par Tecna1 le 24 Novembre 2018 à 11:20
Paulina Vinderman
L'épigraphiste
présentation : Jacques Ancet
traduction : Jacques Ancet et Cristina Madero
LE TAILLIS PRÉ
Chaque livre de Paulina Vinderman est comme une strophe ajoutée au long poème que constitue son œuvre entière. Après Barque noire1, L’Épigraphiste. Nulle rupture, dans la brièveté de chaque livre mais un continuum où chaque fois recommence l’exploration d’un monde dans lequel abandon, solitude, mélan- colie, douleur résonnent d’un même chant mezzo voce qui s’insi- nue et vous emporte comme celui des plus beaux tangos.
Oui, il y a du tango dans ces poèmes. Le manque, l’absence les traverse. Et l’amour y est source d’une nostalgie étroitement liée au passé de l’enfance en même temps que d’un profond sentiment d’échec: «L’amour est mort très vite, aussi vite qu’il est venu ». Car c’est le temps qui gouverne notre vie – qui la fait et la défait, indissolublement: «Désormais mon seul père est le temps», dit Paulina Vindermann. Et telle une épigraphiste («J’écris sur mon cahier comme sur une tablette / de moine bouddhiste...»), elle s’applique à déchiffrer les traces – les ins- criptions – qu’il laisse en nous et hors de nous, chacun de ses poèmes étant ce déchiffrement même :
Je reviens après des années, au caféoù je recueillais les empreintes du monde.
Le garçon est là toujours, éternel dans son gilet lie-de-vin.
La boîte aux lettres au coin de la rue, vide de tout
excepté de moi. Les arbres me frappent de la beauté de leur vieillesse
(Un jour ils mourront mais je n’en serai pas témoin).
Je suis venue te dire adieu, dis-je au garçon,qui m’interroge sur ma vie, comme un ami de plus.
Je n’appartiens plus à ce lieu
(je n’appartiens à aucun, pense pour sa part
la mélancolie, mais je ne le lui dis pas)
et j’écris une longue lettre sur une feuille d’agenda,
au frère que je n’ai pas eu (ou qu’on m’a enlevé),
tout en buvant mon café
et je dessine des nez sur des serviettes en papier.
Avant que la vraie nuit froide ne m’avaleje laisse tomber la lettre dans la boîte.
L’insistance de ce que je suis tient – muette –
dans cet acte minuscule.
Je laisse derrière un éclat ou son souvenir(c’est la même chose)
comme une lumière de fable.
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Par Tecna1 le 21 Avril 2018 à 08:24
VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
Voir venir Laisser dire
La Rumeur LibreLAISSER DIREIOn ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a surle bout de la langue.
Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. Onferme les yeux. On laisse dire.
*
On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle estcachée.
Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de sespupilles vides.
+
On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petitsriens,
Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors,dedans,
De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avezplus de bouche.
*
Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’està la fois
Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.
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Par Tecna1 le 10 Novembre 2016 à 20:29
VIENT DE PARAÎTRE
Rodolfo Alonso
Entre les dents
traduction de Jacques Ancet
PO&PSY/ERÈS
Exordre
Traducteur, essayiste, critique et, avant tout et surtout, poète, Rodolfo Alonso a publié plus de vingt livres de poésie. Le titre du premier, qui réunit des poèmes écrits dès l’âge de 17 ans, annonce l’obsession centrale de cette voix unique : le salut ou rien. « Je veux être / de ceux qui aiment la vie / de ceux qui sont la vie / incandescente inimitable ». Depuis plus d’un demi siècle, cette voix cristalline célèbre l’existence, structurant sa parole comme une spirale toujours plus ouverte. La spirale, a dit sor Juana, est la véritable représentation de la beauté.
La beauté constitue la musique de ces poèmes, travaillés avec une rigueur formelle, imaginative et conceptuelle exceptionnelles. « Je vous invite / à promener l’amour parmi les indifférents », propose Alonso. Son éclat provient sans aucun doute d’un sous-sol de douleurs et de saletés du monde qu’il a su écraser sous ses pieds à grands coups de beauté. A une époque toujours plus inhumaine comme celle qu’il nous est donné de subir, blessée par ce génocide plus silencieux que celui des fours crématoires mais non moins terrible qu’est la faim, sa poésie fait feu contre les ministres de la mort et attend le temps « où le mot amour n’aura pas besoin d’être prononcé ». Paraphrasant René Char, elle ne permet pas que les chemins de la mémoire soient couverts par la lèpre des monstres.
Rodolfo Alonso, en véritable poète, donne un nom à ce qui n’a pas encore de nom. Sa poésie pousse sans être protégée de ce qui va venir et elle est pleine d’hommes et de femmes : « les chaînes / les mains des autres », lui font mal. Elle voit la parole d’autrui et l’accueille, la transforme, la calcine pour la rendre plus pure à l’autre. Elle interroge le mystère et trouve les labyrinthes de l’énigme. « Le bien et le mal forment pour toi un seul méridien ». Elle se pense elle-même et, pour se connaître, s’ignore. Son invention élargit l’invention de l’horizon.
Je souhaite au lecteur de découvrir bientôt son œuvre entière : il entrera dans d’autres territoires de « Madame la Vie », où « le bel amour / reste et triomphe ». L’éclat de son écriture, œuvre d’une sobriété qui est matière, éclaire les temps obscurs, « réchauffe le cœur / du monde ».
Juan Gelman
HERBE SORCIÈRE
les yeux ouvrent
la fête
l’eau claire de tous
l’air
la lumière pure
que serait
la vie
sans musique
LA RÉCOLTE
oh saveur
je ne te couvre plus de mes mains
je ne peux ouvrir les portes de tes yeux
je suis aveugle
je tombe
la mesure de ma douleur
est mon châtiment
LA MISÈRE L’ORGUEIL L’ESPÉRANCE
difficile à toucher
elle a un pas de soif
des mains d’eau
tiède
dans le vent
elle a de la lumière
elle a du cran
cette dure espérance
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Par Tecna1 le 15 Août 2007 à 18:25
Jean Murat ou le choix de la vie
Dans une époque du tout image, de la communication tous azimuts, où les moyens technologiques sont tels qu'ils semblent ouvrir à l'homme les perspectives à la fois fascinantes et menaçantes d'une ère nouvelle prise entre l'angoisse d'une violence généralisée et l'espoir (toujours plus fragile, il est vrai) d'une véritable transformation de l'humanité, qu'est-ce qui fait peindre Jean Murat ? Oui, qu'est-ce qui le pousse, depuis plus de vingt ans, dans la solitude et l'anonymat, au mépris de tout confort matériel et mental à réinvestir à nouveaux frais cet art vénérable et pour certains moribond qu'on appelle la peinture ? Car il y a, chez lui, quelque chose de l'alpiniste et du joueur : solitude et risque de l'altitude, pari à fonds – et à fond – perdu...
Baroque par nature – il y a là une sorte de peur du vide et un désir d'y échapper dans la prolifération, le contraste, le déséquilibre, la violence –, cette peinture s'est construite, comme tout art véritable, sur une suite de refus et d'adhésions. Refus, d'abord, d'un certain nombre d'esthétiques (et de contre ou anti-esthétiques) en vogue aujourd'hui, de l'art officiel et subventionné que je dirais installé et bien installé dans son obsession installatrice, à la facilité d'un certain symbolisme du retour à l'origine rehaussé des prestiges du travail des « matières », comme on dit, en passant par les arts « conceptuel », « pauvre », « abstrait » – lyriques, constructivistes ou autres – qui ne cessent de répéter les gestes fondateurs de quelques pionniers inimitables. Sans parler, bien sûr, de toutes les figurations et leur vieille monnaie périmée dont beaucoup trop, encore aujourd'hui, font comme si elle avait toujours cours.
Ce refus et le risque de solitude et d'incompréhension qu'il suppose, n'est que l'envers de la reconnaissance avouée d'un certain nombre d' « alliés substantiels » » dont la présence vivante donne à ce travail son épaisseur et sa profondeur. Que ce soit dans la peinture rupestre ou dans les miniatures persanes du XVIè siècle, chez Michel Ange ou le Tintoret, Rubens ou Goya, Van Gogh ou Cézanne, Jean Murat retrouve cette force qui lui donne le courage de poursuivre son aventure dont il sait, nous dit-il, qu'elle n'est qu'« affirmation d'une victoire provisoire sur la mort ». Plus près de nous, c'est dans le voisinage d'un Bacon ou d'un Rebeyrolle qu'on pourrait le situer, avec ce qu'il y a dans ces œuvres d'énergie subversive et de refus en acte de s'inscrire dans quelque courant, groupe ou école que ce soit.
S'il fallait le caractériser en peu de mots, je dirais que le travail de Jean Murat est une tentative toujours poursuivie, jamais achevée pour tenir les contraires, les traverser, les annuler : figuration et non figuration, couleur et dessin, technique et non-technique, instant et durée, image et récit, tradition et modernité. C'est là qu'est son rythme, dans cette tenue, ce risque accepté du chaos et du désordre, de la discordance et du ratage, au profit de ce qui se cherche, se perd, se trouve par éclairs, disparaît et réapparaît dans l'intensité brutale de son surgissement: l'autre face d'une réalité qui n'est plus cette image toute faite que nous en avons, description totalitaire – technologique – d'un monde où les ombres n'existent plus puisque tout est éclairé, exposé aux projecteurs d'une platitude épuisant toute vision et tout désir. Contre l'ennui d'un Loft story généralisé, contre les « retours-à » ou le statut répétitif et sans affects d'un certain art contemporain, Jean Murat nous met en face de ce qui échappe à toute maîtrise et à tout discours parce que, soudain, c'est là, dans la violence de son apparition : l'inconnu – le réel.
Face à toutes les forces mortifères qui sans cesse nous menacent, nous parasitent et nous détruisent, peindre, pour Jean Murat, est alors plus qu'un art, avec tout ce que ce mot comporte de connotations esthétisantes et élitaires : c'est un choix de vie – le choix de la vie.
Site de Jean Murat: http://www.muratpeintre.fr
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