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A Schubert et autres élégies
A Schubert et autres élégies (1989-1997),
Paroles d'aube, 1997
Elégie II
Yannis Ritsos, i.m.
La splendeur, disait-il. Le ciel maintenant s'était dégagé
et le regard portait si loin, par-delà les collines étincelantes,
qu'on voyait l'infini. A l'intérieur, les bruits familiers
étaient devenus étranges: les volets ouverts sur l'air vif
qui prenait les visages dans es paumes de neige, le tintement
des couverts contre les assiettes posées sur la table avec son soleil répandu
qu'on aurait bien été en peine d'éponger, le ronronnement
de l'aspirateur à l'étage ou l'eau qui coulait dans la salle de bains
tout ressemblait à un rêve plus réel que la réalité.
Et pourtant, disait-il encore en hochant la tête, et pourtant...
Ses yeux se perdaient ou pâlissaient et nous entendions un fracas de bottes traverser la lenteur du jour.
Très loin, nous savions qu'il venait de mourir, lui que nous aimions sans l'avoir connu
pour ces livres qui nous arrivaient comme des oiseaux ou des anges
aux ailes pleines de cette rumeur du monde que nous percevions mal.
Nous écartions les pages et les mots s'échappaient,
papillons, lucioles, étincelles qui tournaient autour de nous,
venaient heurter la lampe, la commode ou les murs
(depuis le rouge d'un tableau ne s'est plus éteint)
et finissaient par tomber au pied des vitres comme les mouches d'été en grésillant longtemps.
Alors, nous les avons ramassés, jetés dans la flaque de soleil de la table
et ce fut comme si tout brûlait plus encore d'un feu inépuisable,
et la voix disait: "Toujours l'amour, le commencement et la fin", ou bien:
"Ah si j'étais soleil", ou encore (on l'entendait à peine): "Ne néglige pas
la patte avant gauche de cette fourmi" et tant d'autres choses si simples, si profondes
que le monde était devenu un immense miroir soudain recomposé
où la lumière sans fin se regardait.
novembre 1990
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