VIENT DE PARAÎTRE
Ramón Gómez de la Serna
L'aube
présentation et traduction de Jacques Ancet
VAGABONDE EDITIONS
Une vibration comme de cristal… Sur le pont de la terre vibre le train de l’aube.
Et nous commençons à entendre le grillon de la tête… Ça c’est le pire.
C’est l’autre crépuscule. Il ne faut pas l’oublier. Il faut méditer sur ce qu’il a de dramatique ce crépuscule, ce qu’il a d’achèvement, d’épilogue, même quand ce qu’il a de matinal –– crépuscule matinal –– peut lui donner la note optimiste et renaissante de la nativité.
Ce sont les étages les plus hauts qui commencent à voir l’aube… Ils deviennent des yeux et s’emplissent d’une lumière d’un autre monde, tandis que les balcons d’en bas deviennent des bouches et bâillent comme du bâillement final.
Dans l’oreille on sent la transition de l’aube.
« Maintenant !... là ! –– se dit-on impatient et tremblant. (Une voiture est passée et le vide de la rue a résonné, ce vide suis generis de l’aube.)
D’abord on dirait qu’une autre lune plus puissante et plus sage se lève de l’autre côté.
Soudain, à une heure déjà très avancée, les yeux plongés dans l’écriture, se produit quelque chose d’étrange, comme si la lune avait fondu d’un coup, comme si un phénomène étrange, de fin du monde, s’était produit… On est surexcité… C’est l’allumeur de réverbères qui a éteint le réverbère d’en face. L’aube est proche.
À l’aube, –– parfois matériellement –– apparaissent toujours pleines de neige les balustrades et les corniches de la maison d’en face.
Que les pages deviennent vides et profondément blanches dès qu’elles sentent l’aube ! Elles deviennent pâles de terreur car voilà qu’arrive ce qui dément leur mensonge, le mensonge selon lequel elles sont remplies même quand elles sont blanches.
On entend l’artillerie de l’aube.
Les cailles semblent être les grenouilles de l’aube et chantent à leur heure comme si elles se multipliaient, comme si c’était les nombreuses grenouilles qui coassaient à leur manière à l’aube.
Cette lumière n’a pas de couleur… Nous ne voyons que la photo du monde.
L’aube la plus ancienne est dans l’aube la plus moderne. A Pompéi je pensais : « À l’aube, Pompéi est la Pompéi de son temps », et ici je pense que cette aube est aussi l’aube primitive de Pompéi ou de la capitale inconnue de l’Atlantide.
L’air mouillé de l’aube.
Si le suicidaire réussit à passer l’aube sans s’être tiré dans la tempe, s’il la regarde avec audace dans ses yeux de crâne vide, il retrouvera pour lui les yeux qui peuvent continuer à voir, il se sentira résigné à vivre, qu’il lui soit arrivé ce qui lui est arrivé, et il entrera avec sûreté dans cette vie indifférente, couci-couça, que l’aube vient absoudre.
L’aube nous jette un vitriol qui nous met hors d’état… puis elle nous recommence.