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Paulina Vinderman

 

 

 

Carnet de dessins

 

présentation et traduction  de Jacques Ancet

 

 

MATIÈRE OBSCURE

 

 

 

 

 

 

 

 

 L’obscurité aussi est langage, dit-il.

 

Paulina Vinderman

 

 

 

            Depuis le célèbre ut pictura poiesis d’Horace, peinture et poésie n’ont cessé de se croiser, de dialoguer, de se confondre. Comme aujourd’hui encore dans ce recueil de poèmes significativement intitulé Carnet de dessin où, de l’une à l’autre, court le même désir, sinon d’imiter le monde, du moins de le rejoindre par la plume et le crayon. Oui, « le monde s’écrit sur manuscrit », dit le moine zen qu’on retrouve comme l’interlocuteur privilégié des livres de Paulina Vinderman. Sur le papier, la calligraphie lui donne corps. Celui, peut-être, d’un jardin : « C’était un jardin parfait, c’était un jardin / sans mémoire. » « C’était », puisque « tout ce que nous voyons est passé », dit Paulina. Comme l’enfance. Cet espace d’où naissent les images : l’étang, les brebis-nuages, le canard aux « yeux comme des grains de café », les lucioles, les chevaux obscurs... et tant d’autres qui donnent à ce petit livre la même tonalité rêveuse, douloureuse et nostalgique que celle de deux livres antérieurs, comme si chacun était la strophe d’un même poème :

 

 

 

Une fois de plus je dors sur l’enfance

 

avec ma lampe coquillage et mon crayon secret.

 

 

 

            De Barque noire[1] à Carnet de dessin en passant par L’Epigraphiste[2], c’est, en effet, au même voyage auquel nous convie l’écriture à la fois précise et évasive, visionnaire et méditative de Paulina Vinderman. Un voyage vers un centre obscur que seuls, peut-être,   crayon, encre ou pinceau  permettent d’approcher. Vers un non savoir inscrit au cœur de « la matière obscure du poème, la matière obscure / du dessin ». Celle qu’ont su travailler ces intercesseurs que sont, par exemple, le Caravage, ce « berger d’obscurité » ou, plus encore peut-être, les peintres du Paléolitique :

 

 

 

A la clarté de la torche portée par Ohme,

 

le bison resplendit.

 

J’ai travaillé ses pattes et à faire entendre 

 

l’ombre de son sang rouge.

 

 

 

 

 

            Toute une poétique se dessine au fil de ces pages sombres et lumineuses. Le monde est, pour nous, la somme des noms et des images par lesquels nous donnons leur existence aux êtres et aux choses. Mais, en même temps, il la déborde et nous est inaccessible. Comme le dit la belle citation de Pascal Quignard qui figure en exergue du livre : « Ni le nom ni la forme ne copient la figure d’un être. » C’est pourquoi, face au langage clair et utile de chaque jour, le langage de l’art est un langage obscur. Et c’est pourquoi Paulina Vinderman peut dire qu’elle écrit « comme qui dessine dans l’obscurité », sans savoir ni où elle va ni ce qu’elle découvre. Car écrire et/ou peindre, c’est perdre tout repère : « J’écris comme après un naufrage », dit-elle encore. C’est fuir cette description apprise qui est notre quotidien, pour entrer dans « un idiome de glyphes ou de lignes qui / se confondent avec les fissures du temps. » Le peintre-poète est donc, à travers ses propres signes un déchiffreur : celui des traces laissées par le devenir. A proprement parler cet épigraphiste qui donnait son titre au livre précédent et que lui rappelle, pour finir, la voix de son invisible maître :

 

 

 

                                               N’étais-tu pas épigraphiste ?, insiste-t-il. 

 

*

 

 

 

J’écris comme qui dessine dans l’obscurité.

(avec tout le temps du monde)

 

Ma main se faufile comme un cobra

et étudie la fuite des rêves

sur un navire étranger.

 

Le poids de ma main est mon nouvel œil.

Impérieux, pareil aux lys qui s’ouvrent,

pareil à des cahiers au soleil après les

naufrages.

 

J’écris comme après un naufrage,

séchant mes habits près du feu

à l’auberge.

 

(avec tout le temps du monde)


 

 

 

 



[1] traduit et présenté par Jacques Ancet, Lettres Vives, 2013.

[2] traduit par Jacques Ancet et Cristina Madero, Le Taillis Pré, 2018.

 

 

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