• 1

     Le feu des pierres illuminait les racines aveugles

     Une offrande de cris où se mêlaient des voix montait du rose des collines

     L'ombre tremblait
     

    Le silence portait toujours les cicatrices de la foudre


     2

     L'ombre au matin circulait sous les pierres blessées d'un éclat bleu d'étoile

     Le ciel était un long voyage de lumière
    ou une main
    ou l'attente des yeux

     Innocence du jour premiers gestes du bois
    du silence germaient les paroles de l'eau

    3

     La pluie tombait
    odeur de songe de limon
    odeur de noir

     La pluie tombait
    ciel sans visage
    rainures du silence

     Un arbre de glaise
             cherchait son ombre
                         dans le gris

     4

     La terre alors se faisait femme
    Les pierres y enfonçaient leur cri
    et le ciel immobile pesait sur elle de tout son poids de siècles

     Peu à peu la lumière touchait sa nuit et le silence des racines

     Crépitements   lueurs   affleurante tendresse
    partout germait la pluie des plantes invisibles

     5

     La solitude avait le masque de la pierre
    la voix sourde du vent qui épelait le jour

     D'un geste inachevé un arbre désignait
    le matin et le soir
                                      
                             
    Des graines voyageaient
    On entendait crisser le silence du sable

    6

     L'air luisait
                                 miroir
                          terre    ou     ciel
    feuilles
                          montagnes ou lumière
                          écume dans le bleu
    lueurs d'eau                    poudre        
                                                                    en
    voyage
                          pierres   plumes
                                                         silence
    jaune
                        Tout était l'autre et le même à la fois

     7

     Au loin passait le vent et sa rumeur de siècles comme des chaînes remuées

     Quelque chose bougeait dans l'herbe

     La nuit perdait un sang d'étoiles noires

     Au matin le ciel nu était un fleuve de silence

     
     8

     Le vent gardait toujours la couleur de la nuit

     Barbouillé d'ombre il portait des paquets de songes des feuilles du sable
    traînait l'écho des pierres sur l'herbe rase des plateaux

     Bousculant le silence rongeant le ciel d'un  éclat de diamant
    il ouvrait le chemin du jour


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  • Courbe du temps (1971-1972)   

    souvenons-nous toujours de la lumière
    sur les fleurs roses du pêcher
    de la lenteur des gestes
    une main sur un front
    de la lenteur des choses
    cette lenteur terrible de la vie
    comme une boucle qu'on dénoue

     * 

    ce jardin où croissait l'anémone
    transpercé de silence
    nous l'habitons toujours
    et chacun de nos gestes devient
    un peu plus lent comme l'image
    qui s'efface d'un geste ancien
    inachevé 

    * 

    crois-tu que le bonheur habite le sourire
    toi qu'un souffle bascule
    en deçà de toi-même
    tu n'entends pas le bruit que fait la pluie
    ni l'appel jaune du coucou après l'orage
    en toi les signes se dispersent
    lueurs d'une eau qui s'évapore  

    * 

    écorce et sable le temps crisse
    sur la mousse bleue d'un visage
    qui écoute bouger les heures
    dans un feuillage sans mémoire
    la demi sonne au clocher mince
    un homme incliné sur les blés
    ne voit pas l'ombre remonter
    des racines vers le feuillage
    un très lent éclair le transperce
    dont n'apparaît nulle blessure 

    * 

    quand le regard devient regard
    la main s'arrête un peu
    comme pour écouter
    la lumière à quatre heures
    est l'or déclinant d'un fruit
    le ciel plus pur encore
    que celui de l'enfance cachée
    dans le vert tremblement des poires
    sous l'arbre s'incline une tête
    selon la courbe de sa vie
    vivre vivre blessure lente comme neige 


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  •  Le songe et la blessure (1969-1970)

     

    (Nocturne inachevé)

    Aujourd'hui le temps saigne sur la vitre.
    Un vent d'absence y vient mêler les cendres
    d'on ne sait quel feu mort. Un volet grince
    et claque par moment. On guette encore
    cette rumeur de vie sous les échos
    et la rumeur des jours, comme une eau lisse
    où vient sauter la pierre. Mais on sait bien
    qu'on ne pourra jamais l'entendre.
    On reste là quand même, et l'on attend:
    peu à peu le soir glisse sur la page,
    couvrant les mots et la main qui les trace.

    La lampe qu'on allume elle aussi saigne
    et les mots s'illuminent un instant.
    Puis tout s'éteint. Que crois-tu donc, poète,
    qu'une lampe suffit à éclairer
    la nuit têtue de l'encre et du destin?
    Car tout retombe au centre de la page,
    tout se brise toujours, telle la pluie
    qui s'est mise à tomber contre la vitre.
    On écoute pourtant: le long des murs
    le temps suinte et coule; on se regarde
    dans le reflet étrange d'un regard.

    La nuit est une eau noire où flottent des
    lambeaux d'espoirs, des lueurs, des regrets,
    des voix perdues, des mains, un froissement
    trouble et très lent d'images déchirées,
    une lente agonie de chaque chose
    en chaque chose et de l'homme en lui-même.
    Une porte se ferme. Une fenêtre.
    Dans le silence effrayant des paupières,
    au bord du puits obscur de la mémoire
    dont nul ne sait s'il pourra revenir,
    tous se cachent pour perdre leur visage.

    La nuit. Le lieu de l'impossible amour
    où chaque fois nous nous brûlons en vain.
    Tu me souris, mais tu es trop fragile
    pour que sans te briser ma main te touche,
    ô toi si proche, si lointaine, seule
    à l'orée de ce songe où tu m'attends:
    un jour de ciel, un silence d'oiseaux,
    un champ de terre rouge et un cyprès
    dressé contre le mur d'une maison de pierre,
    un lent chemin que frôlent nos deux ombres
    au cercle d'or d'un éternel été.

     


    Mais on vieillit et le songe s'éloigne,
    tel un écho de pas dans la rue vide,
    léger mais persistant. La main se pose
    sur la page inutile où çà et là
    sont échoués les mots. Les yeux se ferment.
    Il n'y a plus qu'à écouter encore
    sous le silence et la cendre des heures
    éparpillées, ce feu de la mémoire
    craquant très loin, voix de flamme et de braise,
    voix d'enfance et de mort. Le vent s'est tu,
    la pluie aussi: il faut attendre l'aube.


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  • L'autre pays (1964-1968) , Plein Chant, 1975.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> 

    </o:p>
    Une fontaine sèche où pousse l'herbe
    et coule le soleil. La rue déserte.
    Un chat passe sans bruit. Des escaliers
    tordus sonnent dans la cendre des tuiles.<o:p> 

    </o:p>
    Un oiseau gris couve le long des murs
    les œufs d'oubli que le temps a pondus.
    Son cri parfois déchire la lumière,sanglant.
    On s'arrête pour l'écouter.
    <o:p> </o:p>Rien ne bouge.

    Des fleurs tremblent à peine
    aux terrasses où s'écrase le ciel.
    Sous les volets, sous le bâillon de l'ombre
    des yeux obscurs s'allument en silence.<o:p> 

    </o:p>
    Plus haut, près d'une croix de pierre blanche
    rongée de vent, veille la solitude.
    Son pas brûlant rôde par les orties
    à l'horizon des dernières demeures.<o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 

    </o:p>
    *<o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 

    </o:p>
    Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
    et se ferme. Son cri perce le ciel.
    Du silence coule un visage obscur:
    gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.<o:p> 

    </o:p>
    Un visage? Peut-être un souvenir,
    qui peut savoir? Le temps s'est égaré
    dans la fumée des pierres qui s'effritent.
    Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.<o:p> 

    </o:p>
    Tout s'est figé en un profil sans âge.
    Contre les murs des songes jaunissants
    brûlent rongés d'insectes et de mouches.
    L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.<o:p> 

    </o:p>
    Seul ce visage aux yeux naissants,
    la terre
    nue, déchirée, la blessure des pailles,
    le jour muet où se crispent les choses,
    la source éteinte dans la main qui se serre. <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p>

    </o:p>
    *<o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 

    </o:p>
    Bout du chemin que ronge le vent gris:
    l'ombre et l'écho y sont le paysage
    et ce silence nu, cristal sans âge,
    miroir brûlé où le passé s'inscrit.<o:p> 

    </o:p>
    Paume de pierre encombrée des débris
    immobiles du temps. Sur ton visage,
    passe l'appel incertain des nuages
    vers l'horizon pétrifié comme un cri.<o:p> 

    </o:p>
    Ton pas se tait tandis que le plateau
    ferme sur toi son éventail de cendres.
    Il n'est plus rien que le ciel sur ton dos<o:p> 

    </o:p>
    qu'un arbre mort qui seul semble t'attendre
    en ce lieu nul où le néant dépose
    l'écume obscure et la braise des choses.

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  • Zone Franche (1975-1980)


     

    lisière


    par-delà la douleur
                    la douceur
          sans savoir où
      aller
          n'écoutant qu'une mouche
      sur la vitre
    peu à peu
                      dessiner
                                      le lent effacement


    *


    marcher dans la lumière
    jusqu'à ne plus rien voir
    oublier jusqu'à son ombre
    cassée
                  sur
             chaque pierre
    sans mots
    être enfin nu


    *


    devenu ombre
    et plus léger encore
    porté
                 par quelques mots
    venus ainsi
    pour rien
    (braises d'un feu absent)
    ombre toujours plus et toujours plus lumière


    *


    quelque chose pourtant
    l'odeur des feuilles au soir
    un frôlement de cloches
    le noir
    la douleur qui soudain crispe
    la main abandonnant
    les mots
                     éparpillés


    *


    mot à mot perdant
    ses visages ses
    corps successifs
    ignorant de lui-même
    de tout ce qui l'entoure
    ce jardin rien de plus qu'une phrase
    ce silence cette table
    qui grince sous la main
    et cette page
    ou s'effaçant
                              il apparaît

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