• Paulina Vinderman

     

    L'épigraphiste

     

     présentation : Jacques Ancet

    traduction  : Jacques Ancet et Cristina Madero

     

    LE TAILLIS PRÉ

     

    Chaque livre de Paulina Vinderman est comme une strophe ajoutée au long poème que constitue son œuvre entière. Après Barque noire1, L’Épigraphiste. Nulle rupture, dans la brièveté de chaque livre mais un continuum où chaque fois recommence l’exploration d’un monde dans lequel abandon, solitude, mélan- colie, douleur résonnent d’un même chant mezzo voce qui s’insi- nue et vous emporte comme celui des plus beaux tangos.
    Oui, il y a du tango dans ces poèmes. Le manque, l’absence les traverse. Et l’amour y est source d’une nostalgie étroitement liée au passé de l’enfance en même temps que d’un profond sentiment d’échec: «L’amour est mort très vite, aussi vite qu’il est venu ». Car c’est le temps qui gouverne notre vie – qui la fait et la défait, indissolublement: «Désormais mon seul père est le temps», dit Paulina Vindermann. Et telle une épigraphiste («J’écris sur mon cahier comme sur une tablette / de moine bouddhiste...»), elle s’applique à déchiffrer les traces – les ins- criptions – qu’il laisse en nous et hors de nous, chacun de ses poèmes étant ce déchiffrement même
    :

     


    Je reviens après des années, au café


    où je recueillais les empreintes du monde.


    Le garçon est là toujours, éternel dans son gilet lie-de-vin.

    La boîte aux lettres au coin de la rue, vide de tout


    excepté de moi.
Les arbres me frappent de la beauté de leur vieillesse


    (Un jour ils mourront mais je n’en serai pas témoin).

     


    Je suis venue te dire adieu, dis-je au garçon,


    qui m’interroge sur ma vie, comme un ami de plus.

    Je n’appartiens plus à ce lieu

    
(je n’appartiens à aucun, pense pour sa part

    
la mélancolie, mais je ne le lui dis pas)


    et j’écris une longue lettre sur une feuille d’agenda,

    au frère que je n’ai pas eu (ou qu’on m’a enlevé),

    tout en buvant mon café


    et je dessine des nez sur des serviettes en papier.

     


    Avant que la vraie nuit froide ne m’avale

    je laisse tomber la lettre dans la boîte.

    L’insistance de ce que je suis tient – muette –

    dans cet acte minuscule.


    Je laisse derrière un éclat ou son souvenir

                                (c’est la même chose)


    comme une lumière de fable.

     

     

     


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  • VIENT DE PARAÎTRE

    Jacques Ancet 

    Laisser dire Voir venir

    La Rumeur Libre
     
     
                                                         LAISSER DIRE
     
                                                                   I
     
    On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
    La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
    Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur le bout de la langue.
    Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On ferme les yeux. On laisse dire.

                                                                  *

    On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
    Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est cachée.
    Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
    La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses pupilles vides.

                                                                  *

    On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
    Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petits riens,
    Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors, dedans,
    De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avez plus de bouche.

                                                                 *

    Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
    Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
    C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est à la fois
    Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.

     


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  • VIENT DE PARAÎTRE

    Jacques Ancet 

    Voir venir Laisser dire

    La Rumeur Libre
     
     
                                                   LAISSER DIRE
     
                                                                I
     
    On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
    La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
    Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur
         le bout de la langue.
    Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On
         ferme les yeux. On laisse dire.
         

                                                                 *

    On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
    Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est
         cachée.
    Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
    La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses
         pupilles vides.

                                                                  +

    On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
    Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petits
         riens,
    Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors,
         dedans,
    De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avez
         plus de bouche.

                                                                 *

    Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
    Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
    C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est
         à la fois
    Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.
     

     

     


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    • VIENT DE PARAÎTRE

      Jacques Ancet 

      Quelque chose comme un cri

      tweets

      dessins de Danielle Desnoues

      Po&psy in extenso/Erès
       

       

      Dès le début, mes livres ont été traversés par un dialogue entre poème long et poème

      bref. Les fragments qui composent le présent recueil ont été écrits sous la contrainte

      non pas métrique ou formelle de mes tetes précédents, mais sous celle numérique

       (au  double sens) du tweet : 140 signes. Le haïku informatique est né voici quelques
       

       années de la mutation technologique que nous vivons, et qui n'a pas fini de porter

      ses fruits. Pour moi, il y avait là une autre manière de donner forme à ce qu’a toujours

      été mon écriture : la pratique du journal. Au sens où je n’ai cessé d’écrire le jour — le

      mystère du jour. »

       

                                                                                      *

       

      Tweet ! Tweet ! fait-il en réponse au pinson. Il ne voit rien, mais il entend. Dans l’arbre d’à

      côté, qu’est-ce qui s’éveille ?

                                                                                                                                                           27 mai 2012



      L’éveil dans le sommeil. Comme une image sans les mots. Les yeux ouverts, fermés. Ce qui

      finit, ce qui commence.

                                                                                                                                                                28 mai 2012




      Ce que tu regardes te regarde, tu le sais. Tout est réversible. Tout n’est qu’un seul et multiple

      regard.

                                                                                                                                                                     29 mai 2012



      J’ai perdu mon centre. Le jour tourne autour de son axe. Le centre est partout.

                                                                                                                                                                   30 mai 2012



      Midi, les doigts et les roses. Entre, un silence de voix. Au cadran, l’ombre arrêtée. Hors temps,

      dit-il — et en plein cœur.

                                                                                                                                                                          3 juin 2012



      Cherche bien. Mais quoi ? Ce que tu ne sais pas et qui, quand tu tournes le dos, te revient en

      pleine figure.

                                                                                                                                                                      7 juin 2012



      Laisse, laisse venir. Le jour casse. La lumière et le vent. Laisse. Laisse dire.

                                                                                                                                                                      7 juin 2012


      Le trou dans le visage. Ou la bouche. Ou le cri. Ce qui en sort — le sang, la nuit — on ne sait pas.

                                                                                                                                                                        7 juin 2012


      Tout se couvre : le ciel, le regard, la pensée, la mémoire. Quelque part, ce qui brûle. Mais où ?

      Comment savoir ?

                                                                                                                                                                          10 juin 2012



      Le nom ferme la bouche. La bouche crache le nom. Du nom à la bouche, ce qui parle. De la bouche

      au nom, ce qui se tait.

                                                                                                                                                                             12 juin 2012



      Dans l’embrasure, des feuilles bougent. Qu’as-tu perdu  qui te revient? Et qui n’a pas d’image.

                                                                                                                                                                             19 juin 2012



      La main tendue ne rencontre que le vide. Sur les doigts, ombre ou sang, peut-être. La paume brille.

                                                                                                                                                                               20 juin 2012

       
       
       

       

       



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  • VIENT DE PARAÎTRE

    Jacques Ancet

    Petite suite pour jours obscurs

    peintures de Guy Calamusa

    Edtions Les Arêtes

     

    Affichage de affiche Petite suite pour jours obscurs.jpg en cours...

     

    Le pied bouge, le jour baisse.
    Le temps est comme un peu d’eau
    sur les doigts. Tu ne vois plus
    que ce qui s’en va — ou vient.
    Entre, il n’y a plus qu’un cri.


    *

    Sans savoir, tu continues.

    Mais pour t’arrêter très vite.
    Devant, les choses se ferment,
    derrière tu les vois s’ouvrir.
    Plus tu vas, plus tu recules.

    *

    Tu arrives à une porte.
    Derrière, un bruit de voix sourdes.
    Une affiche vous indique :
    présentez-vous à l’accueil.
    Le couloir est sans issue.


    *
    Les mots m’aveuglent, dit-il.
    J’entre dans ce que j’ignore.
    Et cependant rien ne bouge
    ni les doigts, ni la lumière
    ni le sang contre le mur.


    *

    Tu ne sais pas comment dire
    mais quand même tu dis, tu
    poses ce mot, et cet autre,
    ciseaux, par exemple, ou pluie,
    et c’est la vie qui te dit.


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