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JACQUES ANCET
Né le 14 juillet 1942 à Lyon. Etudes secondaires et supérieures dans cette même ville. “Lecteur” de français à l’Université de Séville, puis agrégé d’espagnol. A enseigné pendant plus de trente ans dans les classes préparatoires aux Grandes Ecoles littéraires et commerciales à Annecy où il réside. Un colloque sur son travail d’écrivain et de traducteur, organisé par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, s’est tenu le 22 et 23 octobre 2010. Docteur Honoris Causa 2016 de l'Université Catholique de Louvain-La-Neuve.
BIBLIOGRAPHIEPoèmes
Le Songe et la blessure, Plein Chant, 1972 & 1974 (épuisé, repris dans Le Jour commence) Silence corps chemin, Ed. Thomas, 1973 & 1975, Mont Analogue Editeur, 1996, épuisé, repris dans Le Jour commence L'Autre pays, Plein Chant, 1975 (épuisé, repris dans Le Jour commence) Courbe du temps, Genève 1975 (épuisé, repris dans Le Jour commence) Avant l'absence, Eliane Vernay, Genève, 1979 (épuisé, repris dans Le Jour commence) Lisières, Dominique Bedou, 1985 (épuisé) De L'obstinée possibilité de la lumière, Eliane Vernay, Genève, 1988 Sous la montagne, Messidor, 1992 (épuisé) Le Bruit du monde, Paroles d'aube, 1993 (épuisé) La Chambre vide, Lettres Vives, 1995. A Schubert et autres élégies, Paroles d’Aube, 1997 (épuisé) L'Imperceptible, Lettres Vives, 1998. Vingt-quatre heures, l’été, Lettre Vives 2000. La Cour du cœur, Tarabuste 2000. Le Jour n’en finit pas, Lettres Vives, 2001. On cherche quelqu’un, Dana, 2002. La Brûlure, Lettres Vives, 2002. La Brûlure, Lettres Vives, 2002.
Le Fil de la joie, La Porte, 2003. La Dernière phrase, Lettres Vives, 2004.
Sur le fil, Tarabuste, 2004. Un Morceau de lumière¸ Voix d’encre, 2005. Diptyque avec une ombre, Arfuyen, 2005.
L’Heure de cendre, Opales, 2006.
Entre corps et pensée, Anthologie d’Yves Charnet, L’idée bleue/Ecrits des Forges, 2007.
Journal de l’air, Arfuyen, 2008.
L’Identité obscure, Lettres Vives, 2009.
Puisqu’il est ce silence, Lettres Vives, 2010.
Les morceaux de l’image, avec Colette Deblé, Ficelle, 2010.
Chronique d’un égarement, Lettres Vives, 2011.
Portrait d’une ombre, Po&psy/Erès, 2011.
Comme si de rien, L’Amourier, 2012.
Les Travaux de l’infime, Po&psy « in extenso »/Erès, 2012.
Ode au recommencement, Lettres Vives, 2013.
La Lumière et les cendres, Caractères, 2014, poème.
Debout, assis, couché, La Porte, 2014, poème.
Le Jour commence, Tarabuste, coll. Reprises, 2015, poèmes.
Huit fois le jour, Lettres Vives, 2016, poème.
L'Âge du fragment, Æncrages et Co, 2016, chronique.
Petite suite pour jours obscurs, Les Arêtes éditeur, 2017, poèmes.
Quelque chose comme un cri, Po&psy « in extenso »/Erès, 2017, tweets.
Voir venir, Laisser dire, La Rumeur libre, 2018, poèmes.et les oiseaux, Voix d'encre, 2019
ProsesObéissance au vent
I — L'Incessant, Textes/Flammarion, 1979, rééd. publie.net, 2014, publie.papier, 2016.
Le Dénouement, Opales, 2001, réed. éditions publie.net, 2017. Image et récit de l’arbre et des saisons, André Dimanche, éditeur, 2002, réed. publie.net, publie.papier 2019.La Ligne de crête, Tertium éditions, 2007.
II — La Mémoire des visages, Flammarion, 1983 Textes/Flammarion, 1983, rééd.publie.net, 2014, publie.papier, 2016. III — Le Silence des chiens, Ubacs, 1990, rééd. publie.net, 2009, publie.papier, 2012, 2016. IV — La Tendresse, Mont Analogue Editeur, 1997, rééd. publie.net, 2011, publie.papier, 2012, 2016.Théâtre
Au pied du mur, Polyglotte, 2014.
Essais
Luis Cernuda, Poètes d'Aujourd'hui, Seghers, 1972 (épuisé) Neuf poètes espagnols du vingtième siècle, Plein Chant, 1975 (épuisé) Entrada en materia (anthologie de José Ángel Valente), Cátedra, Madrid, 1985. Un Homme assis et qui regarde, Jean-Pierre Huguet, 1997. Bernard Noël ou l’éclaircie, Opales, 2002. Chutes I, II, III , Alidades 2005 , .
La Voix de la mer, publie.net, 2008.
L’Amitié des voix
I — Les Voix du temps, publie.net 2009.
II — Le Temps des voix, publie.net, 2009.
Chutes IV, Alidades,
Les livres et la vie, Editions centrifuges, 2015.Amnésie du présent, publie.net, 2019
ChutesV, Alidades, 2020.
Prix de poésie Charles Vildrac de la Société des Gens de Lettres et Prix Heredia de l’Académie Française, 2006, Prix Apollinaire, 2009, Plume d'or 2013 de la S.A.S, Prix Kowalski Lycéens de la ville de Lyon, 2019.
Traductions
LUIS CERNUDA : Les plaisirs interdits, Fata Morgana, 1981; Un fleuve un amour, Fata Morgana, 1985; Ocnos, Les Cahiers des Brisants, 1987 — VICENTE ALEIXANDRE: La destruction ou l'amour, Fédérop, Lyon, 1975 & 1977 —JOSÉ ÁNGEL VALENTE: L'innocent suivi de Trente-sept fragments, Maspéro, 1978; Trois leçons de ténèbres, Unes, 1985; Material Memoria, Unes, 1985; Intérieur avec figures, Unes, 1987; L'éclat, Unes, 1987; La pierre et le centre, Corti, 1991; La fin de l'âge d'argent, Corti, 1992; Au dieu sans nom, Corti, 1992; Mandorle, Unes, 1992; Paysage avec des oiseaux jaunes, Corti, 1994; Chansons d'au-delà, Unes, 1995; Lecture à Ténérife, Unes, 1995, Variations sur l’oiseau et le filet, Corti, 1996, Personne, Myriam Solal, 1997, Trois Leçons de ténèbres, suivi de Mandorle et l’éclat, Poésie/Gallimard, 1998; Communication sur le mur (entretien avec Antoni Tàpies), Unes, 1999 ; Treize poèmes, Dana, 2001 ; Fragments d’un livre futur, Corti, 2002 ; Présentation et mémorial pour un monument, Dana, 2002, Fragments brisés, anthologie d’Andrés Sánchez Robayna, Consejería de Educación, Embajada de España en Francia, París 2007. — ALEJANDRA PIZARNIK: L'autre rive, Unes, 1983; A propos de la comtesse sanglante, Unes, 1999, Cahier jaune, Ypsilon Editeur, 2012, L’enfer musical, Ypsilon Editeur, 2012, Extraction de la pierre de folie, Ypsilon Editeur, 2013, Les Travaux et les Nuits, Ypsilon Editeur, 2013, Arbre de Diane, Ypsilon Editeur, 2014, La Dernière Innocence Ypsilon Editeur, 2015, Les Aventures perdues, Ypsilon Editeur, 2015, La Terre la plus étrangère, Ypsilon Editeur, 2015 — XAVIER VILLAURRUTIA: Nostalgie de la mort, Corti, 1991 — LUIS MIZÓN: Province perdue, trad. collective, Les Cahiers de Royaumont, 1988 ; Jardin de ruines, Obsidiane, 1992 — ANDRÉS SÁNCHEZ ROBAYNA: La roche, ed. Comp'Act, 1995 ; Sur une pierre extrême, trad. collective, Les Cahiers de Royaumont, Créaphis, 1997 ; Feu blanc¸Le Taillis Pré, 2004 ; Sur une confidence de la mer grecque, Gallimard, 2008 — ANTONIO GAMONEDA: Pierres gravées Lettres Vives, 1996, Froid des limites, Lettres Vives ; 2000, Blues Castillan, José Corti, 2004 ; Description du mensonge, José Corti, 2004 ; Passion du regard, Lettres Vives, 2004 ; Clarté sans repos, Arfuyen, 2006 ; Cecilia, Lettres Vives, 2006 — JEAN DE LA CROIX: Nuit obscure, Cantique spirituel et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 1997— RAMÓN GÓMEZ DE LA SERNA: Le livre muet, André Dimanche, 1998 ; Lettres aux hirondelles et à moi-même, André Dimanche, 2006 — ROBERTO JUARROZ: Fidélité à l’éclair, Lettres Vives, 2001, Quinzième poésie verticale, Corti, 2002 — MARÍA ZAMBRANO: Poésie et philosophie¸ Corti, 2003 ; L’homme et le divin, Corti, 2006 — JUAN GELMAN: L’opération d’amour, Gallimard/Du monde entier, 1996 ; Lettre ouverte, suivi de Sous la pluie étrangère, Caractères, 2011, com/positions, Caractères, 2013, Vers le Sud, Poésie/Gallimard, 2015 — JORGE LUIS BORGES: La proximité de la mer, 99 poèmes présentés et retraduits, Gallimard/Du Monde entier, 2010 — FRANCISCO DE QUEVEDO Y VILLEGAS: Les furies et les peines, 102 sonnets choisis, présentés et traduits, Poésie/Gallimard, 2011 — ALVAREZ ORTEGA: Genèse suivi de Domaine de l’ombre, Le Taillis Pré, 2012 — PAULINA VINDERMAN, Barque noire, Lettres Vives, 2013, L'épigraphiste, Le Taillis Pré, 2018 — LILIANA LUKIN, Calligraphie de la voix, Alidades, 2013, L'Ethique démontrée selon l'ordre poétique, Caractères, 2014 — LUIS DE GÓNGORA : Fable de Polyphème et Galatée, présentation et traduction, Poésie/Gallimard, 2016, RODOLFO ALONSO : Entre les dents, Po&psy/Erès, 2017.,
Prix de traduction Nelly Sachs 1992, Rhône-Alpes du Livre 1994 et Bourse de traduction du Prix Européen de Littérature Nathan Katz 2006, Prix Alain Bosquet de traduction, 2015, Prix Roger Caillois de traduction 2016.
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VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
Chutes V
Alidades
Chutes: non pas ce qu'on a laissé tomber, mais, en retrait de l'écriture, le mouvement de la pensée, lacunaire, éclectique en apparence et pourtant toujours revenant aux mêmes questions, comme une lampe qu'on déplace autour d'un objet, dont s'éclairent les différentes faces, dans le recherche jamais atteinte d'une totalité toujours ouverte.
Ce cinquième cahier rassemble les notes de 2005 à 2010.
L'Éditeur
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VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
et les oiseaux
Voix d'encre
Soyez tranquille, disait Corot, je travaille pour les oiseaux. On pourrait tout aussi bien dire que les oiseaux travaillent pour nous. Leur présence discrète mais obstinée nous accompagne, que nous le sachions ou non, des moindres gestes ou événements de la vie aux plus graves ou aux plus tragiques. Les fragments ou tweets de ce livre sont une manière de leur rendre ce qu’ils ne cessent de nous donner. Une intensité de vie devenue intensité de langage et une intensité de langage devenue intensité de vie. Indissolublement. Ecrire ici, ce serait alors non seulement écrire avec ou pour les oiseaux, mais écrire les oiseaux — et le monde avec.
L. et les oiseaux — On voit ses mains dans la lumière au milieu des ailes. Sa tête levée vers le ciel. Va-t-elle s’envoler elle aussi ?
La vitre et les oiseaux — Les navettes de haut en bas. Les fils tissés. Ils tournent dans le poudroiement sans fin.
Le crépuscule et les oiseaux — On voit à peine. Le bleu s'assombrit. Un cri roule comme une perle.
Le soir et les oiseaux — Une vibration d'encre. Rien qui bouge. La mangeoire seule se balance.
Les ombres et les oiseaux — Ce qui va et vient. Ce qui tremble. L'une ou l'autre? L'ombre qui devient l'oiseau ou l'oiseau son ombre ?
La nuit et les oiseaux — Elle tombe des arbres. Ils y montent, s'y cachent. De l'une aux autres un bruissement léger, aile ou feuillage ?
L'aube et les oiseaux — Il y a comme une attente. Frisson d’encre sur la blancheur, jet vertical. Lueur ou bec ou goutte ou perle.
Le matin et les oiseaux sont un seul éblouissement. On ne les voit pas mais on les entend. Comme si la lumière chantait.
Le jour et les oiseaux — Surprise de lumière. L'herbe tremble avec les ailes. Quelque chose s'avance. On entend.
L'après-midi et les oiseaux — Tout est suspendu et tremble. Un insecte bourdonne. Aucun cri, aucun vol. Le ciel est trop bleu pour être vide.
Les cris et les oiseaux — On entend les uns on voit les autres. Ou inversement : cris volants, ailes sonores : un instant, ils ne sont plus qu'un.etc.
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VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
Journal d'hiver
La Porte, 2019
Le 1er. Le voilà. Une mésange picore la mangeoire. Le ciel est si bas qu'il n'est plus le ciel. La bûche flambe. Le monde tourne
Ensuite, le 2, c'est la lumière à travers le rideau. Des ombres passent et repassent. On dit branches. On dit oiseaux. Quelqu'un est là, peut-être. Le monde ne cesse de tourner.
Le 3, la fatigue rampe. Elle se traîne dans les feuilles. On voit venir une lumière obscure. Mais sait-on vvraiment ce qu'on voit ? On tousse. On n'arrête pas de tousser. SAle saison dit une voix. demain ressemble à hier, aujourd'hui à demain. D'ailleurs rien ne ressemble à rien. C'est l'hiver.
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VIENT DE PARAÎTRE
Jacques Ancet
Image et récit de l'arbre et des saisons
Editions Publie net
L’arbre est visible de la fenêtre. Depuis des jours, des mois, des années. Même avant la fenêtre, il était là, mais invisible parce que libre de l’image, dans le vent ou la pluie, avec ou sans feuilles. Ce qui n’a pas changé c’est cette présence obscure où se prend la lumière, où passe un bruissement léger, inaudible derrière la vitre. Quelqu’un, s’il tendait l’oreille pourrait peut-être l’en- tendre, mais à peine, comme un murmure de voix étouffées, lointaines. Pour le moment, rien n’est perceptible, rien ne bouge. C’est une fin d’après-midi de printemps grise et humide. Les couleurs sont éteintes : les verts, les bruns tendent vers une ombre qui semble veiller au centre de chaque chose. L’arbre en est plein de cette ombre mais, pour l’instant, le jour ne la laisse pas encore venir. Simplement, le tronc monte en silence, d’un seul mouvement paisible, veiné de gris puis, d’une torsion, se dédouble en deux branches maîtresses qui suivent chacune leur chemin, dessinant cette fourche énigmatique où viennent toujours se prendre les désirs. Dans cet espace, progressivement ouvert à mesure que monte le regard, s’en va la profondeur d’un pré, son vert main- tenant soutenu, vif, presque lumineux, jusqu’à la ligne obscure, clairsemée, d’autres arbres en bordure d’un chemin. Pour le moment, personne n’y passe et le regard revient aux branches maîtresses qui, entre-temps, semblent s’être obscurcies (mais peut-être est-ce un effet de contraste entre le vert du pré et le brun gris de l’écorce). S’entendent alors plusieurs cris d’oiseaux variés – pépiements, roulades, appels insistants – et le bruit plus lointain d’un train qui s’éloigne. La branche de gauche s’élève du même mouvement harmonieux que le tronc, se dédoublant elle-même jusqu’à un fouillis de ramilles où se perdent les yeux. Celle de droite, par contre, à mi-parcours dans le tracé d’un V presque parfait rompt brutalement l’équilibre en un coude qui la mène à l’horizontale vers un point coupé par le bord droit de la fenêtre. Les ramilles bourgeonnantes d’un gris vert pâle sont moins nombreuses de ce côté et l’œil s’attarde à en suivre les lignes à la fois prévues et inatten- dues. Il y a, dans la contemplation d’un arbre, un plaisir difficile à décrire. Peut-être parce qu’il a quelque chose à voir avec le clair du ciel et l’obscur de la terre sans qu’il soit possible de dire qui de l’un ou de l’autre l’emporte. Peut-être aussi par l’élégance d’un désordre qui toujours se mue, in extremis, en un ordre subtil et concerté
À ce point de son parcours l’œil a dû se détourner puisque pendant quelques secondes plus rien n’a été visible que la blancheur du papier ou ce suspens, simplement, comme dans une conversation lorsque l’un des deux inter- locuteurs reste dans l’attente de la fin d’une phrase qui ne vient pas. Dans ce blanc, peut se loger un monde. Pour l’instant, rien n’est visible qu’une lumière qui pourrait être celle d’une lampe le soir avec une main calme accompagnée de son ombre et qui écrit. S’entend même le bruit du stylo à bille sur le papier. Tout cela très rapide. Puis le blanc s’obscurcit et la nuit vient, soudaine, pleine de la traînée brasillante des lumières de la ville
Revenu, le regard, depuis la fenêtre, retrouve l’arbre. C’est le matin et le soleil vient de percer la brume. Des gouttes scintillent dans le pré et les feuilles naissantes se confondent sur le ciel blanc. Difficile de retrouver l’émotion de la veille. Pourtant, de nombreux détails hier cachés par la brume ou la lumière basse sont apparus. Et, d’abord, la montagne, au fond, entre les branches, sa face de pierre veinée de neige. Quelque chose comme un grand souffle d’air immobile, délimi- tant le ciel. Suivant les failles et les fractures, l’œil oublie l’arbre qui n’est plus qu’une gêne au premier plan. Mais son ombre, sa présence, ne se laissent pas éliminer et, par intermittence, une branche, une ramille, quelques feuilles d’un jaune naissant viennent occuper très brièvement le champ de vision. Puis, à nouveau, la montagne se rapproche – ou plutôt le regard s’éloigne à sa rencontre, glisse d’un bout à l’autre de la brume bleuâtre délimitée par la fenêtre, comme s’il y cherchait un signe, la permission, en somme de commencer le récit. Passé quelque temps, cependant, l’arbre l’emporte. Et son réseau frémissant revient remplir définitivement le cadre de la fenêtre. Tableau vivant. Silence, toujours, mais habité du mouvement des branches secouées par le vent. Malgré tous ses efforts, le regard ne réussit pas à embrasser l’ensemble des détails, sinon infinis du moins innombrables, de la vision. Il ne retient que cet éblouissement fragmenté et discret, cette agitation intermittente où il se perd, incapable qu’il est de s’arrêter sur un détail pour y épuiser définitivement le visible. Il s’y essaye malgré tout, répétant une fois de plus un trajet sans cesse repris, du tronc à la fourche maîtresse puis à la branche de gauche qui, s’élevant, se diffracte en deux dérivations elles-mêmes dédoublées en fourches ramifiées en ramilles enchevêtrées qui sont autant de signes d’encre sur le ciel clair. À droite, le tissage est moins serré, mais la fatigue le prenant, le regard tombe brusquement sur deux boîtes de bois couvertes de deux planchettes en forme de toit et suspendues aux deux branches maîtresses : fermées par un morceau de grillage, elles abritent les nids de mésanges qui, à chaque printemps ne cessent d’entrer et de sortir en un bruyant va-et-vient. Elles ont quelque chose de rassurant sous la floraison naissante de l’arbre et les yeux s’y attardent un peu avant de repartir à l’assaut du réseau inextricable d’où ils se détournent une fois encore
La pièce est spacieuse. Des rayonnages couvrent tous les murs excepté celui de gauche où s’ouvre la fenêtre. Un amoncellement de papiers et de livres, divers objets – pèse- lettres, cassettes, vieux poste de radio, Minitel, verres à crayons, boîte d’allumettes, blague à tabac – sont répartis sur une longue planche portée par des tréteaux le long du mur qui, de la fenêtre s’étend à droite jusqu’à une porte entrouverte au centre de laquelle une coupure de journal jaunie est fixée avec des punaises. Debout, devant la table, l’homme semble feuilleter des papiers ou un livre. À gauche, le soir tombe. L’arbre est un grand hiéroglyphe pâle sur le bleu sombre. Une lampe s’allume en face. Absorbé dans sa lecture la silhouette s’obscurcit. Finalement, une main tâtonne, trouve l’interrupteur : la pièce s’illumine. L’homme s’assoit à la table. Tout près, la fenêtre est presque noire et son reflet s’y dessine. Lui, n’y prête pas attention. Incliné sur une page de livre ou de cahier, il lit, jetant de temps à autre un coup d’œil distrait vers l’obscur de la vitre
Parallèle au mouvement horizontal de la branche maîtresse droite, un peu au-dessous d’elle, le chemin est une ligne coupant le vert dense du pré. Parti à gauche, de la petite route qui monte le long du même pré et dont le regard peut entrevoir l’asphalte gris près d’une ferme entourée d’arbres, il va d’un seul mouvement uniforme et presque rectiligne accompagné d’une barrière de bois brun et, ça et là d’un châtaignier, vers le bord droit de la fenêtre où il disparaît dans le fouillis clair des feuilles et des fleurs naissantes. Le pas aimerait sans doute le suivre vers cet inconnu qu’il indique, mais est-il certain que le monde continue hors du champ de vision ? C’est pour- quoi les yeux ne quittent jamais longtemps les branches de l’arbre qui oscillent sous le vent, auxquelles viennent se prendre tant d’infinis détails que leur patience ne semble pouvoir suffire. L’important, cependant, est moins de tout voir que de voir, de prendre simplement conscience de cet acte apparemment si simple où se rencontrent, se confondent l’espace de l’image et celui des yeux. Une cloche sonne le quart : deux coups paisibles, dans un silence qui pourrait être la survivance d’une époque révolue. Presque au même instant, noire et blanche, luisante, une pie se pose sur une branche, balancée un instant, queue rayant le vide, puis disparue dans le bleu pâle du ciel coupé par le bord supérieur de la fenêtre qui empêche également de distinguer le sommet de l’arbre. Le regard redescend donc une fois de plus à la hauteur de la fourche pour, dans l’espace triangulaire qu’elle délimite, traverser à nouveau le pré parcouru d’ondulations légères vers le chemin toujours vide et, passé le bouquet de châtaigniers, atteindre la pelouse puis le crépi beige et les fenêtres d’une maison neuve dont le toit brun dessine un triangle inverse à celui de la fourche sur le vert sombre des sapins étagés au pied de la montagne. À cette heure, c’est un nouveau crépuscule aux couleurs vives. Deux corneilles se détachent du haut de l’image et glissent vers le pré où s’étirent de longues ombres pâles. L’arbre est entré dans le soir. Seule sa partie supérieure reste éclairée comme la façade mauve et blanche de la montagne découpée sur le ciel d’un bleu très pur. Coassement des corneilles invisibles. Silence. La ferme à gauche paraît déserte. Le regard reste fixe un moment, comme fasciné par la paix de l’image, par cet instant d’équilibre où jour et nuit se confondent, échangent leurs visages
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