• LE FEU ET LE SILENCE[1]

                   A la fin de chaque livre de Carlos Castaneda, dont le premier remonte maintenant à bientôt quarante ans[2], le lecteur a le sentiment que le cycle s'achève et que rien de plus ne pourrait y être ajouté. Et, pourtant, chaque nouvel ouvrage prolonge, éclaire, transforme les précédents. C'est ainsi qu'après Le don de L'Aigle[3] où le maître et initiateur de Castaneda à la "sorcellerie" yaqui, Don Juan, quittait le monde avec son groupe — "le clan du nagual", en un adieu qui semblait définitif, Carlos Castaneda, avec un septième et un huitième tome, Le Feu du dedans et La Force du silence, réussit la gageure d'ouvrir plus encore les perspectives et de nous donner, dans l'approfondissement d'un certain nombre de notions déjà connues - "voir", "le corps de rêve", "l'Aigle" etc....-- une véritable cosmogonie d'une cohérence et d'une ampleur impressionnantes.
              Don Juan disparu réapparaît dans l'acte de remémoration que constituent ces livres. Remémoration, non pas souvenir. En effet, si les quatre premiers tomes[4] se développent dans l'espace du souvenir, puisqu'ils rapportent ce que Don Juan appelle les enseignements relatifs au “côté droit", autrement dit à "l'état de conscience normal nécessaire à la vie quotidienne", les quatre suivants[5] sont une remémoration, c'est-à-dire une récupération progressive sur l'oubli des enseignements relatifs au “côté gauche", à une état de conscience accrue "nécessaire pour assumer les fonctions de sorcier et de voyant". L'oubli d'expériences aussi extraordinaires vécues depuis dix ans et plus vient de ce qu'en état de conscience accrue les événements sont perçus simultanément et non successivement et forment un bloc que la conscience normale ne peut résoudre en séquences linéaires; incapable de les intégrer à son "inventaire", c'est-à-dire à la description du monde qui est la sienne, elle les refoule hors du champ de la mémoire. Ce n'est qu'après un long apprentissage -- un long dé-conditionnement -- que, peu à peu, fragmentairement d'abord, puis de manière plus continue, Carlos Castaneda s'efforce de retrouver ce qu'il appelle avec Don Juan la "totalité de lui-même". Effort qui justifie le prolongement d'un témoignage qui, sauf à être gonflé imaginairement, aurait dû avoir pris fin depuis longtemps : "Mes livres -- annonce l'avant-propos de La Force du silence -- sont le récit d'un processus continu qui devient plus clair à mes yeux à mesure que le temps passe." D'ailleurs, Don Juan avait prévenu son apprenti : “Tu auras besoin d'un éternité pour te souvenir des choses que tu as perçues aujourd'hui parce qu'il s'agissait, pour l'essentiel, de connaissance silencieuse. Dans un moment tu les auras oubliées."
                C'est pourquoi, dans les intermittences de ce travail de remémoration, réapparaît la relation maître-disciple qui avait donné leur force aux quatre premiers volumes. Don Juan nous avait quitté pour mieux nous revenir à travers une mémoire différente, plus difficilement accessible mais plus totale et donc libérée des servitudes du carnet de notes et du stylo. Éliminée la caution de l'objectivité scientifique, ce qui pourrait passer pour une preuve de mystification ajoute encore, paradoxalement, à la force de persuasion du cycle. Il est, en effet, dans la logique de cet itinéraire initiatique que l'homme qui observe -- l'ethnologue -- change ses armes pour celles de l'homme qui voit puisqu'il est lui-même devenu voyant.
              Car tout repose ici sur une expérience que les livres précédents nous ont présentée sous le nom de voir. Cette expérience, pratiquée depuis des millénaires par d' "anciens voyants" fascinés et détruits par leurs découvertes puis reprise avec prudence et méthode, depuis trois siècles environ, par de "nouveaux voyants" dont le "nagual" Juan Matus est le dernier représentant, fonde une étonnante cosmogonie que Castaneda résume en ces termes dans Le Feu du dedans : "Il répéta qu'il n'y avait pas de monde objectif mais seulement un univers de champs d'énergie que les voyants appellent les émanations de l'Aigle; que les êtres humains sont faits des émanations de l'Aigle et sont par essence des bulles d'énergie luminescente; que chacun de nous est enveloppé dans un cocon qui contient une petite partie de ces émanations; que l'on accède à la conscience grâce à la pression constante que les émanations extérieures à notre cocon, appelées émanations en liberté exercent sur celles qui se trouvent à l'intérieur de notre cocon; que la conscience engendre la perception, ce qui se produit quand les émanations intérieures à notre cocon s'alignent sur les émanations en liberté qui leur correspondent.
                "La vérité qui vient ensuite est que la perception se réalise parce qu'il y a en chacun de nous un agent appelé point d'assemblage qui sélectionne les émanations intérieures et extérieures pour l'alignement. L'alignement particulier que nous percevons comme étant le monde résulte de l'endroit spécifique où se situe notre point d'assemblage dans notre cocon." Cette description, La Force du silence la précise et la complète : selon Don Juan, “les premiers sorciers appelèrent vouloir la force qui maintenait les émanations de l'Aigle séparées et qu'on ne lui devait pas seulement notre conscience, mais aussi tout ce qui existait dans l'univers. Ils virent que cette force avait une conscience totale et provenait des champs même d'énergie qui composaient l'univers. Ils décidèrent alors que le mot intention s'appliquait mieux à cette force que le mot vouloir. [... ] Don Juan avait exprimé la conviction que l'idée chrétienne de l'exclusion du paradis terrestre lui apparaissait comme une allégorie renvoyant à la perte de notre connaissance silencieuse, notre connaissance de l'intention. La sorcellerie était donc un retour aux commencements, un retour au paradis". Dans cette ré élaboration plus fine on retrouve nommé intention ce que Don Juan, dans Histoires de pouvoir, avait appelé nagual. Il précise ici pour quoi : “Les sorciers appellent intention l'indescriptible, l'esprit, l'abstrait, le nagual. Je préférerais l'appeler nagual, mais cela se confond avec la nom du chef, du benefactor, qu'on appelle aussi nagual. J'ai donc choisi de l'appeler l'esprit, l'intention, l'abstrait."
              Le travail du voyant va donc consister d'abord, au terme d'une longue pratique, à "franchir la barrière de la perception", c'est-à-dire à déplacer son point d'assemblage, produire de nouveaux alignements et découvrir ainsi que ce que nous appelons "réalité" n'est qu'une description possible parmi d'autres; puis, par un déplacement continuel de ce point d'assemblage, à aligner d'un seul coup toutes les émanations intérieures au cocon et à finalement brûler d'une conscience -- d'une liberté -- totale. Alors, le destin de l'homme (mettre en valeur sa conscience pour qu'à sa mort elle réintègre et enrichisse la force incommensurable de l'Aigle qui l'a engendrée) pourra être vaincu. Tel est le "don de l'Aigle" aux quelques êtres qui eurent, ont, ou auront le courage, le pouvoir et l'intention inflexible d'accéder à cette liberté. Chaque nagual aidé de son groupe aspire à cette réalisation suprême : quand il a accumulé l'énergie suffisante pour entreprendre le grand voyage, il quitte volontairement ce monde vers l'explosion de la conscience totale. C'est ce que fait Don Juan à la fin du Don de L'Aigle et ce que Carlos Castaneda, le nouveau nagual, devra tenter à son tour s'il en a la force.
              Présentés dans un résumé forcément schématique, retirés du terreau d'expériences que l'écriture de Castaneda recrée avec la force poétique et dramatique qui est la sienne, les concepts et la vision du monde de Don Juan risquent de paraître soit banals soit délirants. Après les découvertes de la physique contemporaine, par exemple, parler de l'univers comme d'un champ d'énergie n'a rien de surprenant. Par contre, le percevoir comme tel et modifier notre vie en fonction de cette perception, relève de capacités qui excèdent celles de l'homme quotidien. C'est, pourtant, ce que Castaneda dit réussir partiellement à faire, sous la conduite de Don Juan, à l'occasion d'une série d'expériences qui, racontées telles quelles, hors contexte, paraissent proprement incroyables. Mais prises dans le mouvement de l'écriture, elles acquièrent une force de persuasion irrésistible. Nous allons avec l'auteur de révélation en révélation, lesquelles, pour extraordinaires qu'elles soient, n'en finissent pas moins par nous paraître d'une cohérence sans failles si nous acceptons la règle depuis longtemps fixée par Don Juan : faire taire notre raison qui ne s'applique qu'à un niveau de conscience et de perception particulier et refuse tous les autres. Or, l'art de Castaneda consiste, d'une part, pour faire taire la raison, à lui donner constamment une parole que Don Juan lui reprend aussitôt en lui opposant une logique autre et irréfutable : celle de la "connaissance silencieuse" qui ne peut être atteinte que par l'acte de voir; et, d'autre part, à utiliser ses armes -- clarté et rigueur de l'exposition et de la composition -- pour la faire taire par l'évocation d'une suite de visions qu'elle ne sait plus interpréter.
              A la différence des tomes précédents, Le Feu du dedans et La Force du silence forment plus un traité qu'un récit. Jusque là, si la pratique et son compte-rendu nécessairement narratif était la base de toute l'élaboration théorique, ici, c'est l'inverse qui se produit : la théorie l'emporte, sans, pour autant, verser dans la sécheresse du discours abstrait, puisqu'elle se double régulièrement du récit des expériences qui la corroborent. Néanmoins, relations et visions sont beaucoup plus fragmentaires, beaucoup moins linéairement ordonnées que dans les autres livres : "Les expériences que je raconte ici, explique l'auteur dans le prologue du Feu du dedans, s'étant déroulées dans un état de conscience accrue, elles ne peuvent participer de la même trame que celle de la vie quotidienne." Cette trame qui est l'ordre de la succession temporelle est donc réduite, au profit d'un système didactique et métaphorique qui lui échappe. Le Feu du dedans et La Force du silence forment ainsi une sorte de vaste poème théorique — de mythe — où le principe d'explication étant de l'ordre du voir, chaque concept est d'abord image ("émanations de l'Aigle", "point d'assemblage", "force roulante", "moule de l'homme", "corps de rêve", "lieu sans pitié" etc.... ) parce qu'avant d'être fondé en raison, il l'est en perception; une perception "non ordinaire" qui fait de l'expérience le fondement et la justification de tout l'édifice didactique. L'image détermine donc le mode d'organisation des deux livres : ceux-ci ne se développent plus selon la linéarité narrative des premiers ouvrages, mais par séquences dont l'image/concept qui en est le centre se relie aux autres à travers la métaphore qui forme la clé de voûte de tout l'édifice : celle de l'Aigle ou de l'intention. Certes, le récit subsiste par îlots et vient donner une épaisseur vécue aux enseignements de Don Juan. Mais, suspendu hors de toute chronologie précise, il ouvre à une temporalité verticale et non plus horizontale : en nous racontant l'initiation de Don Juan par son maître le nagual Julián, lui-même formé par le nagual Elías, en évoquant (au sens figuré mais aussi au sens propre) les anciens voyants dans des épisodes où l'humour le dispute à la terreur, Castaneda enracine son long itinéraire initiatique dans une tradition immémoriale qui consomme sa rupture d'occidental avec sa propre culture. Au terme d'une "reconquête" invisible et silencieuse de plus de vingt ans, le colonisé est devenu le colonisateur et le savant voyant.
              Il serait vain de poser une fois encore avec ce septième et huitième livres la question insoluble de la "vérité" du témoignage de Castaneda. Tout acte de communication, à moins d'être physique, passe inévitablement par le langage. D'une expérience, qu'elle soit mystique, existentielle ou autre, nous ne savons que ce qu'en a écrit par journal, récit, traité ou poème, celui ou celle qui l'a vécue. Alors pourquoi refuser à Castaneda ce qu'on accorde à d'autres, si la force de ses textes rejoint celle de témoignages similaires? L'écriture, quand elle atteint un certain seuil d'intensité devient sa propre expérience; l'énergie qui l'habite rejoint celle du réel et, soudain elle n'existe plus, elle s'annule comme langage, elle devient silence: ainsi la forme humaine de l'être devenu conscience totale lorsque l'embrase "le feu du dedans”.
                           
                                                                                                                         
     



    [1] Carlos Castaneda, Le Feu du dedans et La Force du silence, Témoins/Gallimard, 1985 et 1988.

    [2] The Teachings of Don Juan, 1968, traduction française : L'Herbe du diable et la petite fumée, Le soleil noir, 1972.

    [3] Témoins/Gallimard, 1982.

    [4]  L'Herbe du diable et la petite fumée, Voir, Le Voyage à Ixtlán, Histoires de pouvoir, les trois derniers parus chez Gallimard en 1973, 1974 et 1975

    5 Le Second anneau de pouvoir, Le Don de l'aigle, Le Feu du dedans  et La Force du silence, Gallimard, 1979, 1982, 1985, 1988.
     

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  • L'image traversée

    (D'un carnet de voyage )

             Dimanche 15 février
     

              Que signifie partir? On est toujours déjà parti. Ou jamais. Une fois dans l'élan du mouvement, c'est comme si l'on n'avait jamais cessé d'être là, dans l'immobilité de chaque instant. Des portes qu'on ne cesse de franchir, qui ouvrent sur d'autres portes.

     

              (Le petit matin gris, le lac comme un miroir et la découpe bleue sombre des montagnes)

     

              Le voyage, c'est l'imminence entretenue. D'où l'inutilité (ou l'utilité, c'est selon) des kilomètres parcourus.

     

              (Par le hublot, la Méditerranée: une côte entrevue (laquelle?) avec quelques taches turquoises tout près du liseré clair d'une côte. Puis une immense marbrure de nuages blancs. Un peu comme la fonte des glaces au printemps dans les mers polaires)

     

              Même si nous prenons peu l'avion, comment comprendre que, malgré sa splendeur, le spectacle soit usé d'avance. A cause des images dont nous sommes repus et qui nous donnent le sentiment que l'inconnu n'existe plus?

     

              (Première vision de l'Afrique: le quadrillage gris, blanc de Tunis. Avec les noms (Tunis-Carthage) les siècles se télescopent. La géométrie du port contre la mer vert pâle et la descente sur des marais, comme pour y atterrir avec, au bord, les immeubles qui grandissent)

     

              Alors pourquoi aller vers le désert? Pour y retrouver l'étonnement? Ou le visage du même?

     

              (Damiers ocres et verts éteints. Des montagnes comme un aubier rougeâtre)

     

    *

     

              Entre Djerba et Tataouine, passée la route construite sur la voie romaine qui relie l'île au continent, c'est d'abord le pays plat du bord de mer. Amène et sympathique, le conducteur parle, explique avec les mains. D'où les fréquentes embardées et l'inquiétude des passagers. Maisons couleur de terre, de poussière, hommes et femmes en djellabahs, champs d'oliviers à perte de vue. Dans un village des petites filles reviennent de l'école cartable en main et robes de couleur, comme chez nous. L'insolite et le familier et l'impression étrange d'être ailleurs sans y être...

     

              Tataouine est construite au pied de contreforts montagneux avec, au sommet d'une colline rocheuse, à droite en arrivant, l'ancien bagne. Le soir, la voix au loin du muezzin et les couleurs du crépuscule, gris bleuâtre et ocre. Une fois encore cette impression d'entre-deux mondes.

     

              Pour nous faire comprendre la fascination du désert, quelqu'un raconte l'histoire de la fille du roi d'un pays merveilleux aimée par un horrible sorcier. Econduit, ce dernier transforme l'Eden en désert de sable et la princesse en gazelle dont les yeux profonds reflètent toute la nostalgie du paradis perdu.

     Lundi 16 février.
     

              Départ à neuf heures. Trajet en Land Rover à travers steppe (et brouillard!) jusqu'à Remada, poste militaire où nous faisons halte pour un contrôle des papiers. En attendant nous nous promenons. Rues blanches au portes bleu vif. Des hommes assis bavardent sur les seuils dans un flot de musique plaintive et obsédante. Pauvreté et art de vivre. Béchir, le chauffeur, nous vend des chèches et nous apprend à nous les mettre. Cette bande de tissu blanche ou de couleur protège la tête et le visage du soleil et du vent tout en laissant passer l'air de son tissage relativement lâche. Nous les essayons avec circonspection, sceptiques sur leurs vertus de protection. Un peu gênés aussi de nous sentir comme déguisés.

     

              Ensuite c'est de nouveau la steppe — verts pâles, orangers, gris , mais plus vaste, avec au fond des tables montagneuses, des mamelons violets. Dîner au pied d'un tamaris. Le grand désert est encore à 60 km.

     

              Sable et pierre, cendre et feu, la plaine immense défile. L'impuissance à décrire est l'un des aiguillons du désir d'écrire. Que dire qui ne soit usé d'avance?

             

              Le désert. Rien.

     

              Les voitures nous laissent avec M. le le guide-interprète-cuisinier et les chameliers au pied d'une première dune à la taille impressionnante. Nous l'escaladons avant le repas du soir. Sur le sable orangé, presque aussi fin que du talc, le trajet des lézards, des scarabées et autres insectes imprime des motifs délicats et répétitifs pareils aux frises ornementales des édifices arabes. Y aurait-il là l'une des origines de l'artisanat et de l'art musulmans?

     

              Premier soir. Nous mangeons à quatre pattes, dans la cuvette commune, le couscous préparé par M.. Puis l'espace se resserre autour du feu. Au-dessus, un ciel comme je n'en avais jamais vu, je crois. Les étoiles d'une luminosité, d'une densité incroyables — des fleurs blanches, presque. Vapeurs lactées, clignotements, pluies de givre immobiles. Les yeux luisent, les sourires.  Le thé à la menthe, très fort, très sucré, circule de main en main. Puis c'est le tam-tam sur la cuvette du souper devenue un tambour. On chante, on rit. On traduit comme on peut les paroles. Arabe, espagnol, français, anglais. Les rythmes obsédants, les mélodies. Les voix se croisent: on traverse les langues.

     Mardi 17 février
     

              Sur le safran, l'ocre-vert de la steppe, le jour se lève en rose et bleu. La tente et les sacs restés dehors sont ruisselants d'humidité. Dans le froid vif le corps retrouve les gestes premiers. Les visages, les mains se tournent vers le feu où fume la bouilloire. On s'agenouille pour manger, pour boire (café, lait, biscuits).  On plaisante et on rit. Puis c'est le départ.

     

              La marche dure plusieurs heures, à un rythme soutenu, dans une grande plaine caillouteuse. Nous sommes seuls, partis bien avant les chameaux, mais à la première pause, vers une heure, nous les voyons surgir comme par enchantement. D'où arrivent-ils? Lieu sec et plat, criblé de crottes et de mouches autour d'un puits artésien où boivent les bêtes. On atteint l'eau par un étroit goulet où ne peut passer que le fond d'une demie bouteille de plastique. Il faut donc répéter inlassablement l'opération pour puiser suffisamment de liquide. Le guide raconte que deux ans auparavant l'eau chaude jaillissait à flots et formait une sorte de piscine en contrebas mais que les forages des prospections pétrolifères ont brisé les conduits rocheux qui l'amenaient en surface. Repas (sandwichs au thon, crème de gruyère, dattes sèches et thé) aux lisières d'un paysage de dunes basses qui moutonnent à l'infini.

     

              Dunes ocres, surfaces terre de sienne et l'immensité bleue.

     

              Décrire n'est pas écrire.

     

              (Soirée très réussie: chants croisés et danses autour du feu)

     Mercredi 18 février
     

              Petite prière de l'écrivain

               Mon Dieu, préserve-moi des phrases trop belles et des idées ingénieuses
     
              Fais que ma main soit guidée non par l'amour des mots mais par le souffle qui les porte.
     
              Fais que je devienne celui que je ne suis pas et non mon propre reflet.
     
              Mon Dieu, délivre-moi de la tentation des images
     
              Ainsi soit-il
      

              Journée difficile avec le vent qui n'a cessé de souffler. Pas suffisamment fort pour nous empêcher de marcher mais trop tout de même pour que la marche n'en soit gênée. Têtes et visages protégés jusqu'aux yeux nous découvrons les vertus du chèche.

     

              Nous entrons dans une zone où alternent les dunes et de vastes cirques plantés çà et là d'arbustes résistants. Nous ne nous séparons pas des bêtes sur lesquelles plusieurs d'entre nous sont montés. Le chameau semble avancer lentement, d'un pas de sénateur, mais sa marche, au rythme imperturbable de ses longues pattes est très rapide et difficile à suivre.

     

              Assis dans un épais buisson pour échapper au vent, je regarde l'ocre du soir tomber peu à peu sur les dunes. Ce bout du monde est plein d'une vie imperceptible et inattendue: bruissement des feuilles, grignotement minuscule d'un scarabée, voix des chameliers. Tam-tam intermittent sur une cuvette ou une bouteille vide. Chant bref, qui reprendra gai et litanique à la veillée. Poussé par le vent le sable glisse en ondulations mouvantes et les chameaux qui broutent sur les dunes sont les effigies obscures d'un monde très ancien.

     

              Le soir, à la veillée, M. raconte un peu sa vie. D'origine pauvre, il quitte son pays pour gagner sa vie. En Hollande, d'abord, où il travaille huit ans comme  cuisinier, puis dans la bâtiment, en France, pays dont il dénonce le racisme larvé. Au retour, après l'échec d'une pâtisserie à Tunis, il monte un restaurant près de la frontière lybienne avant que la fermeture de cette dernière n'handicape considérablement son petit commerce. Il devient donc écrivain public et, pour arrondir des fins de mois difficiles, guide-cuisinier-interprête pour les randonnées chamelières.

     Jeudi 19 février
     

              Je demande à M. de m'apprendre quelques mots arabes. Il les écrit sur mon carnet:

     

    LAIL/nuit;

    NAHAR/jour;

    EL MAA/l'eau;

    NAAR/feu;

    EL RAML/le sable;

    DAOU/lumière.

    EL RIH/Le vent;

    JAMEL/dromadaire;

    KAMEL/chameau;

    SABAHELKAIN/bonjour;

    SALAM ALIEKEM/bonsoir;

    CHOUKRAN/merci;

    EL HOUB/L'amour;

    RAJOUL/Homme;

    MARRA/femme;

    TEFAL/enfant;

    CHIBANI/vieux;

    AZOUZ/vieille;

    EL KOUBZ/Le pain;

    AGANI/chanson;

     

    Il me demande de lui composer un poème sur le désert. Un peu plus tard, monté sur un dromadaire, accroché à mes deux cordes (avant et arrière pour éviter de basculer dans un sens ou dans l'autre), je compose mentalement le texte suivant:

     L'IMAGE
     
    Le désert est une image
    Si tu y entres, les autres s'effacent

     
    Tu comptes tes pas
    (Les dunes sont du lait)

    Tu ne comptes pas

     
    (L'horizon qui recule vient comme un visage)
     
    Tu cherches ton nom

    (Le sable ou l'ombre
    le vent qui parle bas)

     
    Quand la lumière se retire
    l'homme prie le dieu du jour et de la nuit

     
    (Le temps remonte vers l'amont)
     
    Le désert c'est toi Vendredi 20 février
     

              La brume au lever. Puis le soleil. Nous partons à travers l'erg. Couleurs pâles (farines, safran). Les grandes dunes abordées hier sont les plus belles du voyage. Certaines atteignent une centaine de mètres de hauteur.

     

              A midi, M. prépare un pain cuit sous la cendre. Nous cherchons du bois pour entretenir le foyer. J'arrache des branches que je crois mortes. L'un des chameliers me montre qu'elles sont vivantes: une multitude de minuscules bourgeons s'y préparent. Honte vague d'être encore si peu attentif à la vie.

     

              Dans l'après-midi, la lumière déclinante découpe les ombres. La succession des mamelons est comme un espace crémeux où nous marchons avec délice. Les pieds nus retrouvent un contact perdu depuis longtemps et les descentes des pentes de sable abruptes sont un retour d'enfance.

     

              Au moment où j'écris ces lignes, le soleil disparaît sur l'horizon rouge. Les dunes deviennent violettes, ocre éteint. Bientôt le feu crépitera et ses flammes illumineront les visages des hommes du désert. Nous chanterons, nous danserons pour célébrer l'instant de l'amitié sous la splendeur du ciel nocturne. Une fois encore, la dernière pour nous, dans ce pays où, sans doute, nous ne reviendrons plus.


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  • Les extases matérielles
    d'Alexandre Hollan


     
    Lentement la lumière se confond avec les formes. Suivre sa descente dans la matière, l'accompagner, la retrouver ; comme une chaleur intime... C'est cela la peinture pour moi...
     
    Alexandre Hollan, Je suis ce que je vois.[1]
       

                C'est à un petit livre d'Yves Bonnefoy, paru il y a un peu plus de dix ans[2], que l'on doit la découverte d'Alexandre Hollan. Non que l'œuvre de ce Hongrois établi en France, en 1956, à l'âge de vingt-trois ans, ait été inconnue jusque là, mais elle demeurait circonscrite à un cercle relativement étroit d'artistes, de poètes et de happy few. L'après midi d'Alexandre Hollan est le signe d'une reconnaissance et d'un élargissement de sa notoriété. Ont suivi, chez le même éditeur un volume de « notes sur la peinture et le dessin, Je suis ce que je vois (1979-1996) et diverses autres publications plus récentes[3] qui ont permis d'approfondir la connaissance de cet artiste dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est resté discrètement et obstinément en marge des courants dominants de l'art d'aujourd'hui. Mais, c'est qu'il s'agit, dans cette œuvre intense et raffinée, d'autre chose que de postures soi-disant subversives, d'affaires juteuses et de coups médiatiques : dans le territoire volontairement restreint mais constamment approfondi d'un travail plastique impressionnant, c'est d'une expérience quasi mystique qu'il s'agit : celle d'un affrontement quotidien aux mystères du visible.

     *
      

    La réalité est, pour nous, une description apprise : elle est l'ensemble des événements intérieurs et extérieurs qu'à travers notre langue et notre culture nous percevons, nommons et, par-là même, délimitons et découpons dans le flux infini des phénomènes. Elle est du reconnaissable, du rassurant. Elle permet l'être ensemble sur quoi se fonde toute communauté –– l'être avec historique, social, culturel. Mais elle est aussi de l'arrêté, du figé : du langage, des images, des formes, des pensées, des valeurs, des situations, des symboles. Un filtre pour nos sens qui, dès lors, ne perçoivent que ce qu'ils savent et non ce qu'il y a tout autour.

                Ce qu'il y a, pas ce qui est. L'être est déjà du défini, parce qu'il est un produit des catégories de la pensée. Une invention grecque. Mais, avant cette découverte qui a changé le destin de l'Occident, on imagine l'homme jeté dans un monde sans dieux ni noms où, précisément, régnait l'il y a. Un plein de forces obscures, un réseau d'énergies en mouvement sans commencement ni fin, une latence informe dont l'actualisation partielle et ponctuelle produit l'univers de formes arrêtées, délimitées, reconnaissables de la réalité, et que, parce qu'il n'en est pas séparé, parce qu'il en est l'envers obscur et infini, on appellera réel. Tout ce qu'il y a, donc rien -- aucune chose en particulier. Une plénitude invisible.

                Or, que se passe-t-il devant telle aquarelle d'Alexandre Hollan ? Cette ombre double, par exemple, massive, d'un brun sombre, qui se détache à peine sur un fond légèrement moins saturé. Est-on face à une apparition ? A une disparition ? Car quelque chose est là, on le sent, qui vient ou s'en va -- qui vient et s'en va. Comment en décider ? La perception flotte, hésite. Comme lorsque, de la fenêtre d'un train au crépuscule, une tache claire qu'on avait d'abord pris pour une façade de maison devient panneau de signalisation, barrière, ou peut-être tas de pierres,vache immobile ou quoi ? Parce qu'aucun nom ne convient on est dans le malaise. Dans l'impossibilité de classer et donc d'oublier. Oui, quelque chose insiste qui nous jette dans l'indécidable. Comme ici : bâtisse ? Personnage de dos ? Bosquet à la tombée du jour ? Ou pots, peut-être, visage issu de quel voile de Véronique ... On est là, comme au commencement du monde, dans une expérience que le peintre évoque parfaitement dans une de ses « notes sur la peinture et le dessin » : « ... Nuit dans les collines, loin de tout. Ne pouvant pas dormir -- mais sans angoisse --, je suis allé me promener un peu. Le ciel était couvert, c'était une nuit noire et silencieuse... Mais je le savais : tout près de moi dans le même noir, il y avait un buisson... Un peu plus loin, la présence de la nuit prenait une autre forme... C'était tranquille, c'était bien ainsi et je savais. C'est cela que je cherche dans mon dessin et dans son (dans mon ?) effacement. (8.83)[4] »

                Dans cette impossibilité première de poser des noms sur un phénomène, Alexandre Hollan nous conduit à l'expérience même du réel. Et du foncier égarement qui en résulte. Un égarement qui n'est pas à entendre ici au sens négatif mais positif : une errance paisible, qui, l'angoisse en moins, rappelle irrésistiblement l'expérience mystique telle que la retrace Jean de la Croix dans ses grands poèmes : là aussi, tout commence par une « sortie » hors de la « maison » dans le silence de la « nuit obscure ». Une sortie des dogmes, du langage et de soi-même -- de la réalité, donc -- et une marche dans le noir de la nuit vers la Présence pressentie... Une rencontre ensuite qui, dans la perte de tout, est une union et une transformation de l'aimée et de l'Ami l'un par l'autre -- «  l'aimée en l'Ami même transformée » ; un retour enfin, dans le Cantique spirituel, où le monde extérieur, d'abord effacé, réapparaît transfiguré par la présence infinie qui le traverse et ne s'en sépare plus : « Mon Ami les montagnes /  les vals ombreux les îles étrangères / les paisibles campagnes / les bruissantes rivières / les sifflements si pleins d'amour de l'air »[5].

                Or, toute véritable démarche artistique, et tout particulièrement celle dont il est ici question, est une tentative analogue, toujours reprise parce que jamais aboutie de passage du connu à l'inconnu -- de la réalité au réel. Des formes fixes, des images toutes faites, à ce fond indéterminé d'où tout provient et auquel tout ne cesse de retourner. C'est pourquoi l'art véritable commence par une « catastrophe du sens » (Hölderlin), autrement dit, un refus des pensées convenues, des paroles toutes faites, des savoirs perceptifs et des formules apprises. Tout commence, pour l'artiste, par une « sortie » de ce qu'il sait, de ce qu'il comprend, de ce qu'il voit. « Laisser le regard élargir, « écrit Alexandre Hollan. Ne pas s'arrêter sur un détail. Ramener le regard, perdu dans le monde. Loucher, brouiller le regard pour qu'il se libère des formes qui le captent (7.86) »[6] Et encore : « Effacer l'image, le près et le lointain, effacer l'élan, effacer le vide et le plein, effacer le mouvement, effacer l'idée... Effacer l'inquiétude... et l'espace apparaît. (Texte pour une édition, 1982)[7].

    Ce déconditionnement est suivi par l'apparition d'une altérité qui, parce qu'elle surgit sur les décombres du moi, de l'identité, s'affronte directement à l'obscur et au sans limites. D'où, ce travail sur les fondements de la sensation mené au fil des années par Alexandre Hollan et les tables de « pictogrammes » qui en sont issues, telles l'alphabet d'une nouvelle perception. Ici, rien qui parle, qui signifie. On est au plus près d'un geste simple, débarrassé de tout savoir. Lequel n'appartient plus à la personne privée mais à cet « autre » qui vient habiter le corps socialisé au moment du travail et qui se fait par lui, en même temps qu'il le fait. D'où, également, ces écheveaux, ces réseaux de lignes, ces traces du passage d'un corps naissant qui, à tâtons, découvrirait le monde, à l'état naissant lui aussi, dans l'en deçà des noms.

    C'est ainsi que la « sortie » et son égarement nécessaire débouche sur une rencontre : dans la singularité du corps peignant, celle du réel et de son énergie sans limites. Cette rencontre est pour chaque artiste différente. Celle d'Alexandre Hollan n'est ni violente, ni dramatique. Loin de tout pathos, elle est, au contraire, lente, paisible, obstinée. Comme dans ces admirables fusains d'arbre au crépuscule. Une vapeur d'un gris velouté, obscur, dont  l'intensité est faite d'infimes vibrations ou variations, vient se détacher sur une plage plus pâle -- mais comment y est-on passé, par quelles imperceptibles  transitions? -- où le grain du papier semble créer un volume atmosphérique dans lequel, sans pouvoir se fixer, l'œil se perd... Ce qui vient vers nous, que ce soit dans ses dessins d'arbres ou dans ses peintures de choses simples, pot, cruche, arrosoir, un fruit, parfois, ce qu'il appelle ses « vies silencieuses » -- silencieuses parce qu'en deçà des noms -- est un monde à la fois fascinant comme la nuit, par sa densité et paisible, transparent, comme l'air, par sa légèreté.

    C'est ce mélange de densité et de légèreté qui me semble définir le mieux ce qu'on pourrait appeler le rythme d'Alexandre Hollan. Sa capacité à nous ouvrir à l'univers de la métamorphose. A nous y faire entrer. Puisque jamais nous ne sommes en face de ses arbres ou de ses natures mortes, mais là dans cette présence qui est la rencontre du corps et du monde qui partagent la même naissance. Ce qui s'explique par la grande proximité du peintre avec son modèle : « Les natures mortes que je peins actuellement sont à environ un mètre de moi. Il y a peu d'espace entre nous. L'espace doit être tactile »[8] Ce qui pourrait conduire à affirmer qu'Alexandre Hollan ne travaille pas sur mais presque dans le motif.

    Oui, Alexandre Hollan peint des arbres, des « vies silencieuses » et, aujourd'hui, des visages. Mais ce disant, on n'a rien dit. Car ce qu'il peint, à travers ces genres traditionnels -- paysage, nature morte, portrait -- obstinément interrogés et réinvestis, ce sont, dans le passage d'une subjectivité toute physique[9], les forces du devenir qui, par nature, sont invisibles. Ce qu'on nous montre ici, c'est l'invisible dans le visible. Ou, mieux, la charge d'invisible qui est à la racine du visible. Et qui, par un art consommé du dégradé, de la transition, du vaporeux, ou, au contraire, du tracé net, acéré et tremblant, erratique et à la fois sûr de lui-même –– ne s'offre que dans l'imperceptible. Non pas dans ce qu'on ne peut pas voir --, une inaccessible transcendance --, mais dans ce qu'on pourrait voir. Ce qui n'est pas hors mais au bout du voir, dans une immanence où se joue notre premier rapport au monde. Dans le « presque invisible »[10], là où le sujet et l'objet, l'espace et le temps finissent par se confondre en ce point où ne règne plus le discontinu des formes de la réalité mais le continu du réel. Toute l'oeuvre d'Alexandre Hollan semble être la parfaite illustration de la fameuse définition de Baudelaire selon laquelle l'art « c'est créer une magie suggestive contenant à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur à l'artiste et l'artiste lui-même »[11].

     


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  •   MELCHOR LÓPEZ

     

     

     

    LE STYLITE

     


     Le stylite
    debout
    sur la colonne
    mâchonne
    une pauvre
    prière, son psaume
    estropié, une lèpre
    de la parole
    ainsi façonnée.

     *

    Une colonne
    seule, au milieu
    des déserts,
    des mirages
    multipliés.
    Une colonne
    tronquée.

    Une ombre qu' effacent,
    que recouvrent
    sans trêve
    obstinés
    les sables.

    Une colonne
    et son ombre de marbre
    effacée.

     *

    Une colonne
    tronquée.
    Une parole
    tronquée
    expire à présent
    sur ses lèvres lépreuses.

    *
    **

      Un pestiféré
    une guenille de plaies
    un ramassis au soleil
    rien que la peau, les os.
    Je bois le poison d'une eau,
    comme le déchet,
    le fiel d'un ange,
    la bouche ulcérée
    par la langue de pierre.

    *
    **

    Passent les caravanes au loin.
    Elles portent leurs marchandises aux cités:
    les bijoux, les lampes, l'argent,
    la myrrhe, l'énigme des livres.
    Au loin passent les caravanes
    par des chemins connus et invisibles.
     
    Cette voix ne commerce
    qu'avec les marchands de silence.

    Melchor López est né à Ténérife en 1965. Proche de la revue Paradiso, il a publié Trece poemas  — “Treize poèmes” (1993), Altos del sol  — “Hauteurs du soleil” — (1995) et  El estilita  — “Le stylite” — (1997)


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  • 1

     Le feu des pierres illuminait les racines aveugles

     Une offrande de cris où se mêlaient des voix montait du rose des collines

     L'ombre tremblait
     

    Le silence portait toujours les cicatrices de la foudre


     2

     L'ombre au matin circulait sous les pierres blessées d'un éclat bleu d'étoile

     Le ciel était un long voyage de lumière
    ou une main
    ou l'attente des yeux

     Innocence du jour premiers gestes du bois
    du silence germaient les paroles de l'eau

    3

     La pluie tombait
    odeur de songe de limon
    odeur de noir

     La pluie tombait
    ciel sans visage
    rainures du silence

     Un arbre de glaise
             cherchait son ombre
                         dans le gris

     4

     La terre alors se faisait femme
    Les pierres y enfonçaient leur cri
    et le ciel immobile pesait sur elle de tout son poids de siècles

     Peu à peu la lumière touchait sa nuit et le silence des racines

     Crépitements   lueurs   affleurante tendresse
    partout germait la pluie des plantes invisibles

     5

     La solitude avait le masque de la pierre
    la voix sourde du vent qui épelait le jour

     D'un geste inachevé un arbre désignait
    le matin et le soir
                                      
                             
    Des graines voyageaient
    On entendait crisser le silence du sable

    6

     L'air luisait
                                 miroir
                          terre    ou     ciel
    feuilles
                          montagnes ou lumière
                          écume dans le bleu
    lueurs d'eau                    poudre        
                                                                    en
    voyage
                          pierres   plumes
                                                         silence
    jaune
                        Tout était l'autre et le même à la fois

     7

     Au loin passait le vent et sa rumeur de siècles comme des chaînes remuées

     Quelque chose bougeait dans l'herbe

     La nuit perdait un sang d'étoiles noires

     Au matin le ciel nu était un fleuve de silence

     
     8

     Le vent gardait toujours la couleur de la nuit

     Barbouillé d'ombre il portait des paquets de songes des feuilles du sable
    traînait l'écho des pierres sur l'herbe rase des plateaux

     Bousculant le silence rongeant le ciel d'un  éclat de diamant
    il ouvrait le chemin du jour


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