• Quevedo Sonnets métaphysiques et amoureux

     

     

    ON ENSEIGNE COMMENT TOUTES LES CHOSES
    NOUS AVISENT DE LA MORT


    J'ai regardé les murs de ma patrie,
    un temps puissants, déjà démantelés,
    par la course de l'âge exténués
    qui voue enfin leur vaillance à l'oubli ;

    je sortis dans les champs, le soleil vis
    qui buvait l'eau des glaces déliées,
    et dans les monts les troupeaux désolés,
    le clair du jour par leurs ombres ravi.

    J'entrai dans ma maison, je ne vis plus
    que les débris d'un séjour bien trop vieux ;
    et mon bâton plus courbé et moins fort.

    J'ai senti l'âge et mon épée vaincue,
    et n'ai trouvé pour reposer mes yeux
    rien qui ne fût souvenir de la mort.




    IL CONNAIT LES FORCES DU TEMPS, ET QU'IL
    EST EXPÉDITIF RECEVEUR DE LA MORT


    Entre mes mains oh ! comme tu ruisselles
    mon âge, comme tu t'évanouis !
    Oh ! froide mort, quels pas tu fais, sans bruit :
    d'un pied muet, c'est tout que tu nivelles.

    Féroce, au faible mur tu mets l'échelle
    en qui la fraîche jeunesse se fie ;
    pourtant mon cœur du dernier jour épie
    déjà le vol, sans regarder ses ailes.

    Oh ! condition mortelle ! oh ! âpre sort !
    Car je ne puis vouloir vivre demain
    sans le souci de rechercher ma mort !

    Et chaque instant de cette vie humaine
    est une exécution qui dit combien
    elle est fragile et pauvre, et combien vaine.



    QUI RÉPÈTE LA FRAGILITÉ DE LA VIE,
    ET SIGNALE SES ILLUSIONS ET SES
    ADVERSAIRES

    Quoi de plus vrai, sinon la pauvreté
    au cours de cette vie fragile et vaine ?
    Les deux mensonges de la vie humaine
    sont richesse et honneur, dès qu'on est né.

    Le temps, sans revenir ni hésiter,
    en ses heures fugitives, l'entraîne ;
    et, d'un désir trompeur, en souveraine,
    la Fortune use sa fragilité.

    C'est une mort muette et gaie que vit
    la vie ; et la santé est une guerre
    où la combat cela qui la nourrit.

    Oh ! qu'il est distrait, l'homme, et comme il erre :
    en terre, il craint de voir tomber la vie,
    sans voir qu'en vie, il est tombé en terre !




    DÉSILLUSION DE L'APPARENCE EXTÉRIEURE,
    PAR L'EXAMEN INTERIEUR ET VÉRITABLE

    Tu regardes ce Géant corpulent
    qui avec morgue et gravité chemine ?
    Dedans il est chiffons et paille fine,
    un portefaix est son soutènement.

    Son âme vit, il a le mouvement,
    Et où il veut, sa stature s'incline ;
    Mais qui son aspect rigide examine
    Méprise en lui allure et ornements.

    Telles sont bien les grandeurs apparentes
    de cette vaine illusion des Tyrans,
    fantastiques scories, et éminentes.

    Les voyez-vous en la pourpre brûlant,
    diamants leurs mains et pierres différentes ?
    Abjects ils sont, boue et vers en dedans.




    QUI PERSÉVÈRE DANS L'ÉXAGÉRATION DE
    SON AFFECTION AMOUREUSE, ET DANS
    L'EXCÈS DE SA DOULEUR

    Dans les cloîtres de l'âme, la blessure
    muette gît, mais consume la vie,
    puisque sa faim en mes veine nourrit
    une flamme dans mes moelles qui dure.

    et déjà cendre amoureuse et pâlie,
    montre, cadavre en ce bel incendie,
    son feu défunt, fumée et nuit obscure.

    Je fuis les gens, j'ai le jour en horreur ;
    et vers la mer, sourde à ma peine ardente,
    je lance en de longs cris de sombres pleurs.

    Aux soupirs j'ai donné ma voix qui chante ;
    la confusion a submergé mon cœur ;
    mon âme est un royaume d'épouvante.



    QUI MONTRE LA DIFFICULTÉ DE FAIRE LE PORTRAIT
    D'UNE GRANDE BEAUTE, QUI LE LUI AVAIT DEMANDÉ,
    ET ENSEIGNE LA MANIÈRE LA SEULE VALABLE POUR Y
    PARVENIR

    Si pour vous peindre il faut vous regarder
    ce qu'on ne peut sans y perdre les yeux,
    faire votre portrait qui donc le peut
    sans se blesser la vue ni vous blesser ?

    De neige et roses ai voulu vous parer,
    honneur des roses et pour vous injurieux ;
    j'ai voulu deux étoiles pour vos yeux ;
    mais les étoiles en ont-elles rêvé ?

    J'ai connu l'impossible en cette esquisse ;
    mais il fallut qu'à votre feu si beau,
    dans son reflet le miroir réussisse.

    Vous peindra-t-il sans éclairage faux,
    si de vous-mêmes êtes dans son eau lisse,
    original, copie, peintre et pinceau.


    A LISI COUPANT DES FLEURS ET
    ENTOUREE D'ABEILLES

    Les roses non coupées sont indignées,
    Lisi, du choix que tu fais des meilleures ;
    celles que tu foules restent inférieures,
    pour conserver la trace de ton pied.

    Toi si beau leurre aux abeilles abusées
    qui courtisent tout empressées tes fleurs ;
    leur appétit leur vient de tes couleurs :
    leur goût tu nargues et ris de les tromper.

    Puisque sur moi ton état n'est point tel
    qu'il s'apitoie, de l'essaim merveilleux
    prenne pitié ton printemps éternel.

    Il sera fortuné, et moi heureux,
    s'il tirait cire de ton buste, et miel
    de ton doux visage miraculeux.



    SOUFFRIR OBSTINÉ SANS RÉPIT NI
    SOULAGEMENT

    Avril colore les champs que captive
    gel effilé et neige éparpillée
    de son nuage obscur et, bien parées,
    déjà brillent à l'entour les feuilles vives.

    Il redécouvre les bords de la rive
    le courant d'eau, par le soleil calmé ;
    et la voix du ruisseau, articulée
    sur les pierres, défie l'air qu'il la suive.

    Les ultimes absences de l'hiver
    des montagnes sont les lointains échos,
    signe de déroute, l'amandier vert.

    Au fond de moi, pas de printemps nouveau,
    l'amour y vit et y brûle l'enfer,
    et c'est un bois de flèches et de faux.


    POUR DÉFINIR L'AMOUR
    SONNET AMOUREUX

    C'est la glace qui brûle, un feu glacé,
    une plaie douloureuse et qu'on ne sent,
    c'est un bien dont on rêve, un mal présent,
    c'est une trêve courte et accablée.

    C'est un oubli qu'on ne peut oublier,
    c'est un lâche qui prend nom de vaillant,
    c'est marcher solitaire entre les gens,
    ce n'est qu'aimer de se sentir aimé.

    C'est une liberté prise en ses liens
    et prolongée jusqu'au délire ultime,
    un mal qui croît plus il reçoit de soins.

    Tel est l'enfant amour, tel son abîme :
    quelle amitié aura-t-il avec rien,
    qui est en tout contradiction intime !

     

    traduction: Jacques Ancet

    Extraits à paraître dans Les furies et les peines, 102 sonnets de Quevedo, Poésie/Gallimard, janvier 2010.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 22 Juillet 2008 à 12:54
    Paperblog a remarqué votre blog
    Bonjour, Je vous prie de m'excuser. Je n'ai malheureusement pas trouvé comment vous contacter autrement que par commentaire. Je souhaitais vous faire découvrir le service Paperblog, http://www.paperblog.fr dont la mission consiste à identifier et valoriser les meilleurs articles issus des blogs. Vos articles sembleraient pertinents pour certaines rubriques de Paperblog. En espérant que le concept de Paperblog vous titille, n'hésitez pas à me contacter pour toutes questions ou renseignements... Adeline Responsable communication
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    2
    Mardi 7 Octobre 2008 à 16:02
    Super le spam!
    Laisse tomber ce spam de paperblog c'est des voleurs de contenu, si tu t'inscris il vont te pomper l'intégralité de tes articles et google enverra les visiteurs sur leur site. Ensuite combien de ces visiteurs vont trouver le petit lien menant à ton site? Ce message est envoyé sur pleins de blogs, il suffit de prendre une petite phrase et de la coller dans google.fr et tu verras le nombre de fois qu'elle est postée dans les commentaires. Ce message spam est hypocrite puisque souvent les blogs ont un gros lien contact dans leur menu, tu devrais faire un article sur leur pratique de merde dans ton blog, d'autres l'ont déjà fait! http://www.visitezmonsite.com/TECHNOLOGIE/Paperblog-recommandable-a-un-blogueur-qui-souhaite-monetiser-son-blog Merci.
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