• La Tendresse

     

        Il en va de certains livres comme de certains enfants : l’amour les a engendrés et, quelque soit leur âge, l’amour les accompagne. 

        Celui-ci a près de trente ans. Ce qui est beaucoup et, en même temps, peu de chose. Car, s’il a su garder, s’il sait porter cet amour, il aura toujours l’âge de sa naissance. Précédé par L’Incessant (1974-1977), La Mémoire des visages (1978-1980) et Le Silence des chiens (1980-1982) eux-mêmes en cours de réédition chez publie.net et publie.papier, il constitue en fait le dernier chapitre d’un texte d’un seul tenant écrit entre 1974 et 1984.
        Ce texte, je le vois aujourd’hui non pas comme un récit, c’est-à-dire malgré méandres et ruptures, une linéarité (commencement, développement et accomplissement), mais, dans le surgissement imprévisible d’une voix et son irrépressible altérité, comme un récitatif en quatre mouvements intitulé Obéissance au vent.
        Quatre mouvements — le temps qui s’ouvre, l’amour, la mort, la naissance — aimantés dans leur déploiement kaléidoscopique par une ambition que je peux dire aujourd’hui obsédante et sans doute démesurée : faire entrevoir dans l’emportement d’une écriture qui en mime l’infinie prolifération, cela qui nous fonde, nous fait, nous déborde, nous efface et pour quoi il n’est image ni mot : le merveilleux, l’épouvantable, l’indescriptible réel.

    *

    tu n'as pas de visage et sans doute est‑ce pourquoi mes mots s'en vont vers toi, cherchant à cerner l'om­bre que tu es, un chien aboie, des voix parlent, le silence est toujours si fragile, cette solitude où pour la première fois tu viens au monde, où peut‑être tu mourras aussi, je ne te connais pas, tu n'es rien que l'obscur de ma phrase, cet appel soudain, au volant, conduisant sur une route en pente, le soleil à gauche éclairait les collines et j'ai su que de quelque façon tu devais exister, ombres, visage négatif, tu étais là, sans corps, sans nom, en moi ce présent et, de nouveau, le fleuve, la mer, ses flux et ses reflux, l'horizon qui recule, les labyrinthes de mémoire, qui suis‑je dis‑tu par ton silence, j'écoute le bruit de la plume sur le papier, je regarde la femme que j'aime, il est cinq heures du premier jour de l'année, encore et encore je recommence mais c'est toi qui parle maintenant, le sang, la bouche d'ombre, intermittent tu clignotes entre les mots, combien d'heures, de jours pour te dire, je regarde ma main couvrir la page, un piano joue à côté, je regarde des enfants, leurs visages, leurs silhouettes à contre‑jour sur un chemin, le grand et le petit, riant, courant, tu es là entre eux, flottant dans mon regard, sans forme et je t'aime déjà, bruit de feuilles et de sang, le ciel est d'un bleu sombre et pur sur les toits, viens, c'est moi maintenant qui t'appelle, le temps s'ouvre, je vois la page, la lumière de la lampe que je viens d'allumer, les ombres de chaque objet, je touche mon visage, il est lisse comme un oeuf, il s'efface, buée sur la vitre mauve, bientôt ne restera que la nuit, la boule en moi de ta présence, et que saurai‑je qui ne t'appartienne, mon coeur bat plus fort, le temps a pris nos visages, il les quitte comme des masques et ils pourrissent dans la terre, mais sans visage comment t'atteindrait‑il, mes mains s'entrouvrent, se tendent vers ton absence, je te sens comme une eau à travers moi, glissant, apaisant l'urgence, délivrant les heures qui maintenant me laissent mon visage, je respire mieux, tu vas venir, je le sais, qu'importe le jour et l'heure, désormais mes gestes seront plus calmes, balayer, faire glisser la poussière dans la pelle, regarder des choses înfimes, miettes, poils de chien, fil blanc, noyau d'olive dans une tache de soleil, les nommer, simplement, parce que tu seras là, elles seront là, mais ce soir, te cherchant, je souhaite peut‑être ne pas te trouver, pas encore, pour que longtemps tu aimantes mes jours, tu sois leur profondeur, leur avenir et comment vivre sans ce désir, image, image à l'infini dédoublée, mais image ou quoi que tu puisses être, je mets le feu à la phrase, j'attends qu'il prenne illumi­nant un instant ton visage qu'emportera la nuit, des syllabes étincellent, des mots entiers s'embrasent, un pan de texte s'écroule où j'ai cru te voir et je me retrouve à fouiller la cendre avec l'angoisse de t'avoir perdu, gestes, paroles vides, je fais un signe que nul ne voit, l'île est déserte où j'ai cru te trouver et je suis seul

    ...

    Édition papier du livre virtuel déjà publié par publie.net

    dans toutes les librairies...

    Dans cette phase de mise en place, l'éditeur recommande les services en ligne de deux librairies :
    - Vent d’Ouest à Nantes.
    - Dialogues à Brest...

    Deux libraires sont dotés d’un service en ligne particulièrement efficient. Dialogues et Vent d’Ouest sont les premières librairies à proposer certains titres en disponibilité immédiate...

    Vous pouvez aussi commander ces livres auprès des librairies suivantes :
    - Ombres Blanches à Toulouse (en cours)
    - Sauramps à Montpellier
    - Kleber à Strasbourg
    - L’Armitière à Rouen
    - Paris, Le Divan
    - Paris librairie de Paris
    - Paris, le réseau Arbre à Lettres
    - Paris encore, la vieille et fière Delamain
    - via le réseau Chapitre.com

    Soutenez-les ! On rappelle que ces livres sont accessibles sur commande depuis l’ensemble des librairies diffusant Hachette Livre. Vos commandes sont centralisées le soir, les livres sont imprimés à l’unité le lendemain matin et expédiés l’après-midi même à votre libraire.

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  • Commentaires

    1
    Thomas
    Jeudi 11 Octobre 2012 à 22:18
    Quinzième poésie verticale
    Monsieur Ancet, Je vous prie de m'excuser : le sujet que j'aborde ici n'a aucun rapport avec l'article, mais je ne savais en quel autre endroit vous contacter. Vous avez, monsieur Ancet, réalisé une traduction de Quinzième Poésie Verticale de Roberto Juarroz. J'ai simplement remarqué qu'au onzième poème, à la quatrième ligne, vous avez traduit "il n'on pas pu le supporter". J'ai d'abord cru à une erreur de frappe, mais j'ai vite remarqué que cette forme n'était pas sans laisser un certain sens derrière elle. Le "il" et le "on" jouant sur la forme du "ils" et "ont" attendue, semblent laisser en suspend la question de la réalité des personnages du rêve et de leur rapport même au rêveur. Pour ma part, cet étrangeté au milieu du poème me ramenait au rapport que Jacques Lacan a pu articuler du Moi à l'autre. Ainsi ma question concerne le Réel du travail réalisé : est-ce une simple erreur de votre part, ou est-ce un trait d'esprit volontairement placé à cet endroit ? Vous remerciant pour votre travail qui m'a permit de m'ouvrir à Roberto Juarroz, auteur dont mon sommeil ne peut plus se passer, Thomas L.
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