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Par Tecna1 le 15 Mars 2014 à 20:22
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
La lumière et les cendres
milonga pour Juan Gelman
édition bilingue : préface et traduction de Rodolfo Alonso
Editions CARACTÈRES
i
c’est là devant on regarde
la pièce vide le jour
arrêté sur la fenêtre
dans les yeux on voit venir
ce qu’on a jamais pu croire
on bat des cils on va dire
mais comment dire on se tait
es ahí enfrente uno mira
la pieza desierta el día
detenido en la ventana
se ve venir en los ojos
lo que jamás hemos creído
pestañeamos al decir
y cómo decir calla uno
ii
on attend on n’entend rien
on voit passer la lumière
plus loin là où les visages
brillent des morceaux de neige
restent suspendus aux branches
goutte à goutte ils étincellent
et s’évaporent on écoute
nada se entiende uno espera
se ve pasar a la luz
más lejos donde los rostros
brillan los copos de nieve
quedan colgando en las ramas
refulgen gota por gota y
se evaporan uno escucha
iii
je compte sept disait-il
car dans sept il y a un
et encore un il montrait
ses doigts écartés comptait
puis les refermait le soir
tombait on ne comprenait
pas mais on comptait quand même
yo cuento siete decía
porque en siete hay uno
y todavía uno mostraba
sus dedos sueltos contaba
los apretaba la noche
caía no comprendíamos
pero se contaba igual
iv
et maintenant maintenant
quelle main va le conduire
celle du jour se retire
celle de la nuit s’avance
mais ce n’est pas une main
un trou peut-être une bouche
noire qui dit maintenant
y ahora ahora ahora
qué mano va a conducirlo
la del día se retira
avanza la de la noche
pero no es una mano
un aujero acaso boca
negra que dice ahora
v
et c’est la nuit une porte
se referme les visages
sont tournés vers la lumière
elle tombe on entrevoit
ce qu’on ne voudrait pas voir
des ombres fuient sur la vitre
des mains quelque chose crie
y es de noche una puerta
se cierra los rostros se han
dado vuelta hacia la luz
ella cae se entrevé
lo que ver no se quisiera
sombras huyen sobre el vidrio
y unas manos algo grita
vi
au bout au bout dit la voix
au bout de quoi dit une autre
de rien de rien dit la même
pas de bout à rien dit l’autre
c’est le rien qui est au bout
c’est le bout qui est le rien
les voix parlent et puis se taisent
al fin al fin la voz dice
al fin de qué dice otra
de nada dice la misma
no hay fin de nada dice otra
la nada es lo que es al fin
es el fin lo que es la nada
las voces hablan se callan
vii
il vient et c’est le soleil
il a des ombres filantes
un scintillement de givre
il a du noir une voix
de solitude un voyage
de visages il a des yeux
qui le fixent il n’en a pas
él llega y tenemos sol
y con él caen las sombras
un centelleo de escarcha
tiene algo negro una voz
de soledad un viaje
de rostros él tiene ojos
que lo fijan él no tiene...
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Par Tecna1 le 2 Janvier 2014 à 10:01
Vient de paraître
Editions Polyglotte-C.I.C.C.A.T
collection Paroles de Scène
Au pied du mur
pièce en deux actes et 24 tableaux
ACTE I
Tableau 1
Un mur qui traverse tout l’espace de la scène. Deux hommes entrent et s’arrêtent au pied : l’un petit, jeans, chemise, blouson. L’autre plus grand, couvert d’une longue parka.
Le Petit — Tu crois qu’on voit quelque chose ?
Le Grand — J’en sais rien.
Le Petit — On peut toujours essayer.
Le Grand — Si tu veux
Le Petit — Aide-moi.
Le Grand — Oh hisse ! (Le Petit monte sur ses épaules). Alors, tu vois ?
Le Petit — Oui.
Le Grand — Et qu’est-ce que tu vois ?
Le Petit — Rien.
Le Grand — Comment ça rien ?
Le Petit — Rien, du vide.
Le Grand — Alors c’est qu’on est très haut ?
Le Petit — Non, parce qu’on voit le sol, juste là en bas, de l’autre côté.
Le Grand — Alors on voit quelque chose.
Le Petit — Si tu veux, mais c’est rien.
Le Grand — Tu dis n’importe quoi.
Le Petit — Non, il y a bien la terre, mais c’est comme si elle se perdait dans la brume. Ou dans le vide.
Le Grand — Alors ça sert à rien de regarder. Descends. (Il redescend).
Le Petit — C’est bizarre.
Le Grand — Qu’est-ce qui est bizarre ?
Le Petit — On voit rien mais c’est comme si on voyait tout. Comme si on voyait le ciel partout, mais c’est pas vraiment le ciel.
Le Grand — Quoi alors?
Le Petit — Un espace transparent. On pourrait marcher et, très vite, on serait plus là.
Le Grand — Tu parles d’un programme. Regarde donc ailleurs. Là, par exemple. Tu tournes le dos au mur et au moins tu vois quelque chose : des rues, des arbres, des fenêtres, des voitures, des passants. Comme je dis toujours : faut pas être trop curieux. On voit ce qu’on voit et basta.
Le Petit — Ou ce qu’on voit pas. Le Grand — Ce qu’on voit pas ?
Le Petit — Ce que tu vois, tu es vraiment sûr que tu le vois ? Tu dis « maison », « nuages » et tu les vois. Mais c’est parce que tu leur donnes un nom. Sinon qu’est-ce que tu verrais ?
Le Grand — La même chose !
Le Petit — Que tu crois ! Mais réfléchis un peu. Si « nuages » et « maison » n’existaient pas, tu verrais quelque chose et quelque chose, mais plus des nuages ou une maison.
Le Grand— Arrête ! Tu me fatigues
Le Petit— Qu’est-ce qu’on fait ?
Le Grand— On va boire un coup ?
Le Petit— D’accord.
Ils s’éloignent. Silence. Troublé par des cris, des rires, des bruits de voix. Une bande de gamins apparaît. Ils s’arrêtent, lèvent la tête, regardent le haut du mur. Ils essaient de grimper, sautent sans succès. L’un d’eux donne de grands coups de pied avec hargne. Les autres s’en vont. Il s’acharne encore un moment puis les suit en courant.
Tableau 2
Début d’après-midi. Retour du Petit et du Grand.
Le Petit — Je regarderais bien encore un coup.
Le Grand — Pour ce qu’il y a à voir...
Le Petit — On sait jamais.
Le Grand — Tu parles !
Le Petit — Rien qu’un petit coup.
Le Grand — Pas longtemps alors.
Le Petit — Promis. (Il grimpe sur les épaules du Grand)
Le Grand — Aïe ! Tu me fais mal ! Alors, toujours rien ?
Le Petit — Si ! Un arbre !
Le Grand — Un arbre ?
Le Petit — Oui, un arbre.
Le Grand — Quel arbre ?
Le Petit — Grand, mais je sais pas le nom.
Le Grand — Et puis?
Le Petit — Et puis c’est beau. Une sorte d’énorme explosion de branches et de feuilles. Les yeux se perdent. Comme dans un labyrinthe. On aimerait bien les suivre.
Le Grand — Et qu’est-ce qu’on y ferait ?
Le Petit — Rien. On resterait là à regarder dessous les gens qui ne nous verraient pas. Ou dessus, les vols des oiseaux avec leurs froissements d’ailes et leurs cris. Et puis, plus loin, le ciel comme du fond d’une grotte.
Le Grand — Et autour, qu’est-ce que tu vois ?
Le Petit — Pas grand chose. De l’herbe. Derrière les feuilles quelque chose, mais je sais pas dire quoi : un mur ou un rocher. C’est blanc, un peu beige. Ça pourrait être aussi une vache, mais ça bouge pas.
Le Grand — T’es lourd.
Le Petit — Oui, je descends.
Le Grand — Ouf !
Le Petit — C’est beau.
Le Grand — Qu’est-ce qui est beau ?
Le Petit — L’arbre.
Le Grand — Les arbres, y en a partout.
Le Petit — Oui, mais c’est pas pareil. Là c’est comme la première fois. Comme si t’en avais jamais vu. C’est quelque chose qui pousse — qui te pousse. Tu peux pas résister. Tu cherches un nom. Mais y en a pas encore.
Le Grand — Qu’est-ce que tu racontes ?
Le petit — J’en sais rien. Je parle. L’arbre me fait parler. Des mots, des phrases, confondus, mélangés. On s’y perd. On bafouille.
Le Grand— Pour ça oui. Allez, on y va ?
Le Petit— On y va.
Ils disparaissent sur la droite. Silence à nouveau. Le jour tombe. C’est bientôt la nuit. Entre un ivrogne qui trébuche, s’arrête en maugréant, vacille et pisse contre le mur. Noir. Le mur luit d’une légère phosphorescence.votre commentaire
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Par Tecna1 le 2 Septembre 2013 à 11:41
Vient de paraître
JORGE BOCCANERA
LÈVRES AUX BRANCHES CASSÉES ET AUTRES POÈMES
traduit par Jacques Ancet et Jean Portante
Al Manar
Jorge Boccanera est né à Bahía Blanca (Argentine) en 1952. Poète, homme de théâtre, essayiste, il est l’auteur d’une vingtaine de livres, qui lui ont valu de nombreux prix comme, entre autres, le prestigieux prix Casa de las Américas (Cuba, 1976) pour son second livre, le le Prix Internacional « Camaiore » (Italie, 2008), le Prix Casa de América de España (Madrid, 2008) et récemment les non moins prestigieux Grand Prix d’Honneur Fondation Argentine pour la Poésie (Buenos Aires, 2012) et Prix international de Poésie Ramón Velarde, (México, 2012)..
Beaucoup de poèmes font tout ce qu’ils peuvent pour ressembler à des poèmes. Ceux de Boccanera, inscrits dans une lignée qui va de Neruda à Gelman en passant par Vallejo, font tout ce qu’ils peuvent pour ressembler à la vie. Une vie marquée par la violence de l’histoire (d’où son exil de 1976 à 1984 du début de la dictature aux débuts de la démocratie revenue) mais aussi par la fraternité, l’humour, le sarcasme, la solitude, l’érotisme et la tendresse, qui donnent à cette poésie son intensité et sa force de langage.
Quand on demande à Jorge Boccanera ce qu’est pour lui la poésie, voici ce qu’il répond : « La poésie possède pour moi le souffle du voyage ; l’imprévisible, l’aventure, la liberté qui s’élargit à chaque nouveau chemin ; le halètement de la navigation qui entre dans des lieux inconnus. C’est, alors, cette ‘autre terre’ savourée, pressentie, à peine entrevue dans les yeux du voyageur. Et c’est le reportage le plus à fond qui se puisse faire sur la réalité, avec quelques pauvres mots flottant sur les immenses eaux du silence. Dialogue d’essences, de correspondances souterraines, la poésie recherche toujours le poids de l’intensité ».MONOLOGUE DU STUPIDE
Qui écrit ? La faim. La voracité fouille,
agite un épouvantail aux yeux vides. Il n’y a pas de lettres,
il y a des coups de dents. Ce qui repousse et mord.
Férocité d’écrire : chaque touche un moignon, un clou
qui raye la cuisse du silence.
Qui répond ? Une voix rouillée. Pointe
d’un cœur ébréché qui fond sur sa proie
respirant des questions.
Ça se mange. Gloutonnerie du vide.
HORLOGE
Immobile, immuable,
sédentaire,
je fixe le cadrant
atone
et statique.
Chez elle aussi
la procession passe au-dedans.
DU CAHIER DE L’IMPATIENT
L’arbre de l’Après pousse chez toi.
Ce n’est pas n’importe quel arbre, on n’en connaît pas le fruit.
(Il va donner de l’ombre. Après)
Ses racines peuvent soulever le plancher des
chambres où tu dors.
(Il va donner des fleurs. Après)
Ses branches entrent déjà par ta fenêtre.
(Il va embaumer. Après)
Il faut le couper. Maintenant !
LES YEUX DE NAZIM HIKMET PARLENT
Sur ma main
la moitié d’une orange brille.
L’autre moitié est sur une table à des milliers de
kilomètres d’ici.
Impossible de mordre cette moitié
sans qu’il fasse mal le vide.votre commentaire
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Par Tecna1 le 2 Septembre 2013 à 11:30
VIENT DE PARAÎTRE
Antonio Porchia
VOIX RÉUNIES
Po&psy/Erès, coll. "in extenso"
Voici réunies, pour la première fois en édition française intégrale, les Voix d'Antonio Porchia, cette œuvre exceptionnelle d'un "écrivain secret", au parcours éditorial atypique, dont Roger Caillois, son premier traducteur, a dit, lorsqu'il l'a découverte en Argentine dans les années 1940 : J'échangerais contre ces lignes tout ce que j'ai écrit.
Ni aphorismes ni hallucinations ou visions mystiques, ces phrases donnent à entendre l’échange incessant qu’entretient avec lui-même un être "en disponibilité de penser" – "un homme solitaire, lucide et conscient du singulier mystère de chaque instant", comme le décrivait Borges.
Et Roberto Juarroz : "Je crois que Porchia est sur la ligne fondamentale où se rejoignent la pensée et l'image, la poésie et la philosophie, dont la séparation artificielle constitue peut-être un de nos plus grands lests."
Traduites de l'espagnol (Argentine) par Danièle Faugeras.po&psy / collection dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot.
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Par Tecna1 le 5 Juin 2013 à 20:41
Numéro 0 de la nouvelle revue .../points de suspension
Jacques Ancet, Laisser dire
chez Ettore Labbate, 1, rue Jules Ferry - 14111 Louvigny
On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur le bout de la langue.
Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On ferme les yeux. On laisse dire.votre commentaire
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