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Par Tecna1 le 22 Octobre 2015 à 10:47
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
Le jour commence
Tarabuste éditeur, 2015Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encor pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là, ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps. C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.
Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.L'AUTRE PAYS (1966-1969)
Une fontaine sèche où pousse l'herbe
et coule le soleil. La rue déserte.
Un chat passe sans bruit. Des escaliers
tordus sonnent dans la cendre des tuiles.
Un oiseau gris couve le long des murs
les œufs d'oubli que le temps a pondus.
Son cri parfois déchire la lumière,
sanglant. On s'arrête pour l'écouter.
Rien ne bouge. Des fleurs tremblent à peine
aux terrasses où s'écrase le ciel.
Sous les volets, sous le bâillon de l'ombre
des yeux obscurs s'allument en silence.
Plus haut, près d'une croix de pierre blanche
rongée de vent, veille la solitude.
Son pas brûlant rôde par les orties
à l’horizon des dernières demeures.LE SONGE ET LA BLESSURE (1969-1970)
(Nocturne inachevé)
Aujourd'hui le temps saigne sur la vitre.
Un vent d'absence y vient mêler les cendres
d'on ne sait quel feu mort. Un volet grince
et claque par moment. On guette encore
cette rumeur de vie sous les échos
et la rumeur des jours, comme une eau lisse
où vient sauter la pierre. Mais on sait bien
qu'on ne pourra jamais l'entendre.
On reste là quand même, et on attend :
peu à peu le soir glisse sur la page,
couvrant les mots et la main qui les trace.
La lampe qu'on allume elle aussi saigne
et les mots s'illuminent un instant.
Puis tout s'éteint. Que crois-tu donc, poète,
qu'une lampe suffit à éclairer
la nuit têtue de l'encre et du destin?
Car tout retombe au centre de la page,
tout se brise toujours, telle la pluie
qui s'est mise à tomber contre la vitre.
On écoute pourtant : le long des murs
le temps suinte et coule ; on se regarde
dans le reflet étrange d'un regard.La nuit est une eau noire où flottent des
lambeaux d'espoirs, des lueurs, des regrets,
des voix perdues, des mains, un froissement
trouble et très lent d'images déchirées,
une lente agonie de chaque chose
en chaque chose et de l'homme en lui-même.
Une porte se ferme. Une fenêtre.
Dans le silence effrayant des paupières,
au bord du puits obscur de la mémoire
dont nul ne sait s'il pourra revenir,
tous se cachent pour perdre leur visage.
La nuit. Le lieu de l'impossible amour
où chaque fois nous nous brûlons en vain.
Tu me souris, mais tu es trop fragile
pour que sans te briser ma main te touche,
ô toi si proche, si lointaine, seule
à l'orée de ce songe où tu m'attends:
un jour de ciel, un silence d'oiseaux,
un champ de terre rouge et un cyprès
dressé contre le mur d'une maison de pierre,
un lent chemin que frôlent nos deux ombres
au cercle d'or d'un éternel été.
Mais on vieillit et le songe s'éloigne,
tel un écho de pas dans la rue vide,
léger mais persistant. La main se pose
sur la page inutile où çà et là
sont échoués les mots. Les yeux se ferment.
Il n'y a plus qu'à écouter encore
sous le silence et la cendre des heures
éparpillées, ce feu de la mémoire
craquant très loin, voix de flamme et de braise,
voix d'enfance et de mort. Le vent s'est tu,
la pluie aussi: il faut attendre l’aube.COURBE DU TEMPS (1971-1972)
quand le regard devient regard
la main s'arrête un peu
comme pour écouter
la lumière à quatre heures
est l'or déclinant d'un fruit
le ciel plus pur encore
que celui de l'enfance cachée
dans le vert tremblement des poires
sous l'arbre s'incline une tête
selon la courbe de sa vie
vivre vivre blessure lente comme neigeSILENCE CORPS CHEMIN (1972)
Silence
Le feu des pierres illuminait les racines aveugles
Une offrande de cris où se mêlaient des voix montait du rose des collines
L'ombre tremblait
Le silence portait toujours les cicatrices de la foudreAVANT L'ABSENCE (1973-1976)
Flamme rose
La femme et l'enfant s'approchent
sur le gravier entre les arbres.
On n'entend pas encore leurs pas.
La douceur devient soudain douleur
lorsque le noir traverse leur visage.
Les photos portent déjà des dates dérisoires.
L'eau se ride d'imperceptibles gestes,
mais l'effilé, le fluet cri jaune
d'un oiseau simple
tombant des branches
suspend un instant leur déclin.Les mots vont s'oublier en des corps de silence.
Le ciel est clair.
Ceux qui écoutent
entendent quelque chose :
un peut de vent, un rire,
sous la peau, qui vacille, la fine flamme rose.1 commentaire
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Par Tecna1 le 18 Juin 2015 à 10:48
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
Petite suite pour jours obscurs
Recours au poème, éditeur virtuelLe pied bouge, le jour baisse.
Le temps est comme un peu d’eau
sur les doigts. Tu ne vois plus
que ce qui s’en va — ou vient.
Entre, il n’y a plus qu’un cri.
*
Sans savoir, tu continues.
Mais pour t’arrêter très vite.
Devant, les choses se ferment,
derrière tu les vois s’ouvrir.
Plus tu vas, plus tu recules.
*
Tu arrives à une porte.
Derrière, un bruit de voix sourdes.
Une affiche vous indique :
présentez-vous à l’accueil.
Le couloir est sans issue.
*
Les mots m’aveuglent, dit-il.
J’entre dans ce que j’ignore.
Et cependant rien ne bouge
ni les doigts, ni la lumière
ni le sang contre le mur.
2 commentaires
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Par Tecna1 le 29 Mai 2015 à 15:30
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
Le jour commence (Poèmes I, 1966-1976)
Editions TARABUSTE, collection Reprises
Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là, ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps. C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.
Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.
Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
et se ferme. Son cri perce le ciel.
Du silence coule un visage obscur :
gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.
Un visage ? Peut-être un souvenir,
qui peut savoir ? Le temps s'est égaré
dans la fumée des pierres qui s'effritent.
Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.
Tout s'est figé en un profil sans âge.
Contre les murs des songes jaunissants
brûlent rongés d'insectes et de mouches.
L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.
Seul ce visage aux yeux naissants, la terre
nue, déchirée, la blessure des pailles,
le jour muet où se crispent les choses,
la source éteinte dans la main qui se serre.votre commentaire
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Par Tecna1 le 29 Mai 2015 à 15:22
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
Le jour commence (POÈMES I, 1966-1976)
Editions TARABUSTE, collection REPRISES.
Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là, ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps. C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.
Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.
Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
et se ferme. Son cri perce le ciel.
Du silence coule un visage obscur :
gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.
Un visage ? Peut-être un souvenir,
qui peut savoir ? Le temps s'est égaré
dans la fumée des pierres qui s'effritent.
Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.
Tout s'est figé en un profil sans âge.
Contre les murs des songes jaunissants
brûlent rongés d'insectes et de mouches.
L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.
Seul ce visage aux yeux naissants, la terre
nue, déchirée, la blessure des pailles,
le jour muet où se crispent les choses,
la source éteinte dans la main qui se serre.votre commentaire
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Par Tecna1 le 29 Mai 2015 à 15:19
VIENT DE PARAÎTRE
JACQUES ANCET
Le jour commence (POÈMES I, 1966-1976)
Editions TARABUSTE, collection REPRISES.
Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là, ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps. C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.
Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.
Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
et se ferme. Son cri perce le ciel.
Du silence coule un visage obscur :
gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.
Un visage ? Peut-être un souvenir,
qui peut savoir ? Le temps s'est égaré
dans la fumée des pierres qui s'effritent.
Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.
Tout s'est figé en un profil sans âge.
Contre les murs des songes jaunissants
brûlent rongés d'insectes et de mouches.
L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.
Seul ce visage aux yeux naissants, la terre
nue, déchirée, la blessure des pailles,
le jour muet où se crispent les choses,
la source éteinte dans la main qui se serre.votre commentaire
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