• VIENT DE PARAÎTRE

     

     

     

    JACQUES ANCET
    Les livres et la vie
    Editions Centrifuges, 2015

     

    C'est toujours avec un vague malaise, un peu superstitieux peut-être, que je lis les autobiographies : leur auteur s'y présente comme à la fin d'une vie, présentant un bilan qu'il assortit généralement d'un occulte plaidoyer pro-domo. Cependant, lorsque le témoignage se développe autour d'un thème particulier (ici littérature et poésie) et plaide avec franchise pour l'exposé du lent processus d'évolution d'une passion créatrice, telle que celle du poète et traducteur Jacques Ancet pour la poésie, j'avoue que la curiosité l'emporte. Jacques Ancet dans ce livre décrit et résume un trajet d'écrivain depuis son origine jusqu'au présent, avec le charme des mémoires, de surcroît pour un lecteur extérieur, il nous initie avec simplicité au cheminement d'un talent créateur, à travers les livres et les circonstances qui ont accompagné sa maturation. L'intérêt du livre est qu'il semble ne rien esquiver des joies et des déboires du poète en cours de conquête de son espace poétique. Les illusions et les désillusions, les problèmes théoriques ou pratiques qu'il se pose, de la conception de la littérature et de la poésie qu'il se forge, jusqu'à la résulution du difficile problème pour un poète nouveau (surtout) de trouver éditeur. Ce processus vital est l'occasion de diverses méditations, en passant, qui entremêlent la vie et la réflexion sur la vie, les livres et la réflexion sur les auteurs et les influences. De sorte que chaque page de ce regard en arrière nourrit aussi de ses surprises la méditation du lecteur toujours avide, comme moi, de connaître par où passent les germes de la création chez un artiste, poète ou musicien, et d'observer quelle sorte de cheminement les développe et les accomplit après toutes sortes de méandres labyrinthiques ! Il faut sans doute une certaine force intérieure pour consentir à dévoiler les ramifications intimes qui ont abouti à l'oeuvre riche et diverse dont Jacques Ancet peut exciper aujourd'hui. S'il ne fallait ici témoigner de cette richesse que par une seule citation, je choisirais ce passage-ci qui me semble d'une justesse, - euh, comment dire ? - irrémédiable !
    Le voici, extrait de la page 71 : « [...] Parler – écrire -, ce serait faire résonner le monde, en tirer une certaine résonance. Notre rapport au monde étant de part en part médiatisé, constitué, même, par le langage, toute parole véritable, parce qu'elle est une parole à l'état naissant, engendre d'une certaine façon un monde qui, lui-aussi, nous apparaît à l'état naissant. La poésie serait donc une parole qui suscite un monde. [...] » Il me semble qu'une autobiographie littéraire qui nous amène avec une telle simplicité à des idées aussi inspirantes, mérite tout à fait d'intéresser au premier chef tous les amis obstinés de la poésie et de la littérature.

                                                                                 X. Bordes. Paris, 22/09/2015.

     


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  • VIENT DE PARAÎTRE

     

    JACQUES ANCET
    Le jour commence
    Tarabuste éditeur, 2015

     

    Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encor pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
    Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là,  ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
    Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps.  C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.     
        Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.

     

     

    L'AUTRE PAYS (1966-1969)

     

     

     

    Une fontaine sèche où pousse l'herbe
    et coule le soleil. La rue déserte.
    Un chat passe sans bruit. Des escaliers
    tordus sonnent dans la cendre des tuiles.

    Un oiseau gris couve le long des murs
    les œufs d'oubli que le temps a pondus.
    Son cri parfois déchire la lumière,
    sanglant. On s'arrête pour l'écouter.

    Rien ne bouge. Des fleurs tremblent à peine
    aux terrasses où s'écrase le ciel.
    Sous les volets, sous le bâillon de l'ombre
    des yeux obscurs s'allument en silence.

    Plus haut, près d'une croix de pierre blanche
    rongée de vent, veille la solitude.
    Son pas brûlant rôde par les orties
    à l’horizon des dernières demeures.

     

     

     

    LE SONGE ET LA BLESSURE (1969-1970)

     

    (Nocturne inachevé)

    Aujourd'hui le temps saigne sur la vitre.
    Un vent d'absence y vient mêler les cendres
    d'on ne sait quel feu mort. Un volet grince
    et claque par moment. On guette encore
    cette rumeur de vie sous les échos
    et la rumeur des jours, comme une eau lisse
    où vient sauter la pierre. Mais on sait bien
    qu'on ne pourra jamais l'entendre.
    On reste là quand même, et on attend :
    peu à peu le soir glisse sur la page,
    couvrant les mots et la main qui les trace.

    La lampe qu'on allume elle aussi saigne
    et les mots s'illuminent un instant.
    Puis tout s'éteint. Que crois-tu donc, poète,
    qu'une lampe suffit à éclairer
    la nuit têtue de l'encre et du destin?
    Car tout retombe au centre de la page,
    tout se brise toujours, telle la pluie
    qui s'est mise à tomber contre la vitre.
    On écoute pourtant : le long des murs
    le temps suinte et coule ; on se regarde
    dans le reflet étrange d'un regard.

    La nuit est une eau noire où flottent des
    lambeaux d'espoirs, des lueurs, des regrets,
    des voix perdues, des mains, un froissement
    trouble et très lent d'images déchirées,
    une lente agonie de chaque chose
    en chaque chose et de l'homme en lui-même.
    Une porte se ferme. Une fenêtre.
    Dans le silence effrayant des paupières,
    au bord du puits obscur de la mémoire
    dont nul ne sait s'il pourra revenir,
    tous se cachent pour perdre leur visage.

    La nuit. Le lieu de l'impossible amour
    où chaque fois nous nous brûlons en vain.
    Tu me souris, mais tu es trop fragile
    pour que sans te briser ma main te touche,
    ô toi si proche, si lointaine, seule
    à l'orée de ce songe où tu m'attends:
    un jour de ciel, un silence d'oiseaux,
    un champ de terre rouge et un cyprès
    dressé contre le mur d'une maison de pierre,
    un lent chemin que frôlent nos deux ombres
    au cercle d'or d'un éternel été.


    Mais on vieillit et le songe s'éloigne,
    tel un écho de pas dans la rue vide,
    léger mais persistant. La main se pose
    sur la page inutile où çà et là
    sont échoués les mots. Les yeux se ferment.
    Il n'y a plus qu'à écouter encore
    sous le silence et la cendre des heures
    éparpillées, ce feu de la mémoire
    craquant très loin, voix de flamme et de braise,
    voix d'enfance et de mort. Le vent s'est tu,
    la pluie aussi: il faut attendre l’aube.

     

     

    COURBE DU TEMPS (1971-1972)

     

     

     

    quand le regard devient regard
    la main s'arrête un peu
    comme pour écouter
    la lumière à quatre heures
    est l'or déclinant d'un fruit
    le ciel plus pur encore
    que celui de l'enfance cachée
    dans le vert tremblement des poires
    sous l'arbre s'incline une tête
    selon la courbe de sa vie
    vivre vivre blessure lente comme neige

     

    SILENCE CORPS CHEMIN (1972)

     

     

     

    Silence

     

    Le feu des pierres illuminait les racines aveugles

    Une offrande de cris où se mêlaient des voix montait du rose des collines

    L'ombre tremblait

    Le silence portait toujours les cicatrices de la foudre

     

     

     

    AVANT L'ABSENCE (1973-1976)

     

     

    Flamme rose

    La femme et l'enfant s'approchent
    sur le gravier entre les arbres.
    On n'entend pas encore leurs pas.
    La douceur devient soudain douleur
    lorsque le noir traverse leur visage.

    Les photos portent déjà des dates dérisoires.
    L'eau se ride d'imperceptibles gestes,
    mais l'effilé, le fluet cri jaune
    d'un oiseau simple
    tombant des branches
    suspend un instant leur déclin.

    Les mots vont s'oublier en des corps de silence.
    Le ciel est clair.
    Ceux qui écoutent
    entendent quelque chose :
    un peut de vent, un rire,
    sous la peau, qui vacille, la fine flamme rose.

     


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  • VIENT DE PARAÎTRE

    JACQUES ANCET
    Petite suite pour jours obscurs
    Recours au poème, éditeur virtuel

     

     

     

    Le pied bouge, le jour baisse.

    Le temps est comme un peu d’eau

    sur les doigts. Tu ne vois plus

    que ce qui s’en va — ou vient.

    Entre, il n’y a plus qu’un cri.

     

    *

     

     

    Sans savoir, tu continues.

    Mais pour t’arrêter très vite.

    Devant, les choses se ferment,

    derrière tu les vois s’ouvrir.

    Plus tu vas, plus tu recules.

     

    *

     

     

    Tu arrives à une porte.

    Derrière, un bruit de voix sourdes.

    Une affiche vous indique :

    présentez-vous à l’accueil.

    Le couloir est sans issue.

     

    *

     

     

    Les mots m’aveuglent, dit-il.

    J’entre dans ce que j’ignore.

    Et cependant rien ne bouge

    ni les doigts, ni la lumière

    ni le sang contre le mur.


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  • VIENT DE PARAÎTRE


    JACQUES ANCET
    Le jour commence (Poèmes I, 1966-1976)
    Editions TARABUSTE, collection Reprises


    Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
    Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là,  ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
    Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps.  C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.     
        Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.

    Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
    et se ferme. Son cri perce le ciel.
    Du silence coule un visage obscur :
    gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.

    Un visage ? Peut-être un souvenir,
    qui peut savoir ? Le temps s'est égaré
    dans la fumée des pierres qui s'effritent.
    Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.

    Tout s'est figé en un profil sans âge.
    Contre les murs des songes jaunissants
    brûlent rongés d'insectes et de mouches.
    L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.

    Seul ce visage aux yeux naissants, la terre
    nue, déchirée, la blessure des pailles,
    le jour muet où se crispent les choses,
    la source éteinte dans la main qui se serre.


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    VIENT DE PARAÎTRE

    JACQUES ANCET

    Le jour commence (POÈMES I, 1966-1976)

     

     

     

    Editions TARABUSTE, collection REPRISES.

     

     

     

     

     

        Toujours, dans les poèmes, c’est le jour qui commence. Dans les premiers surtout. Ceux où, pour la première fois, s’est levée cette clarté. Parce qu’ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
        Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là,  ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
        Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre. A chaque fois ils ne sont qu'un passage: celui d'un souffle et sa buée de temps.  C'est pourquoi ils sont, à tous les sens du terme, irrémédiables.     
        Parus dans des éditions confidentielles, peu ou mal diffusées et depuis longtemps introuvables, les cinq ensembles ici réunis n'ont donc pas été réécrits mais réduits et réorganisés, quand la distance était trop grande entre le regard d’hier et celui d’aujourd’hui. Ce livre est leur première édition véritable.

     

    Sur la poudre des tuiles, l'oiseau s'ouvre
    et se ferme. Son cri perce le ciel.
    Du silence coule un visage obscur :
    gouttes lentes dans l'ombre du cyprès.

    Un visage ? Peut-être un souvenir,
    qui peut savoir ? Le temps s'est égaré
    dans la fumée des pierres qui s'effritent.
    Le vent a fui, brouillant toutes les pistes.

    Tout s'est figé en un profil sans âge.
    Contre les murs des songes jaunissants
    brûlent rongés d'insectes et de mouches.
    L'haleine frôle les lèvres. Plus rien.

    Seul ce visage aux yeux naissants, la terre
    nue, déchirée, la blessure des pailles,
    le jour muet où se crispent les choses,
    la source éteinte dans la main qui se serre.

     

     


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