• VIENT DE PARAÎTRE

    Paulina Vinderman,

    Barque noire

    Traduit et préfacé par Jacques Ancet 

    Lettres Vives 

    édition bilingue


    Au bord de l’inexprimé

        Paulina Vinderman est un poète considérable, auteur d’une œuvre importante non tant par sa quantité (une douzaine de livres tout de même) que par sa qualité, sa singularité qui lui ont valu une reconnaissance dont témoignent de nombreux prix reçus en Argentine et ailleurs. Elle a aussi traduit des auteurs de langue anglaise —Sylvia Plath en particulier dont on trouve une trace dans les pages qu’on va lire — pour ne pas s’enfermer, pour s’ouvrir à d’autres horizons, d’autres mondes. D’où, ces autres voix qui se mêlent à sa voix et forment quelque chose comme un chœur — un chœur de solitudes...
        Encore tout récemment, je ne la connaissais pas. C’est grâce à l’amicale passion de Cristina Madero qui ne cesse de lancer la poésie d’une rive à l’autre de l’Atlantique pour l’écouter bruire comme une pluie étrange et chaleureuse, que m’est arrivé ce petit livre. Dès les premiers vers, la voix qui parle ici, à la fois incertaine et sûre d’elle-même, paisible et secrètement violente s’est insinuée en moi et n’a eu de cesse que je ne cherche à écouter dans ma langue son timbre si profondément insolite et familier : « On construit le quotidien au cœur même / de l’étrange. », dit-elle.
        Me voici donc embarqué malgré moi, mais de mon plein gré, à bord de cette Barque noire, cette suite unitaire de 35 poèmes qui m’emporte dans sa lente et imperturbable dérive sur le miroir obscur d’une eau où se lèvent et se couchent les jours et leur lumière changeante. Car c’est bien sûr de temps qu’est fait ce long poème, comme nous en sommes tous faits, comme les mots en sont tissés. Ces mot qu’il s’agit de saisir vite avant qu’ils ne se dissolvent dans l’universelle impermanence :
     
    Dans ce poème aussi il va faire nuit. 
    Je dois vite attraper les mots : monde, arbre, larme.
    Il va faire nuit et je n’ai pas encore compris le jour.

        Entre l’éloignement du passé et son étrangeté (« Le passé est un pays étranger ») et le futur (« une chambre obscure / où je ne peux que voter pour la mort ») que nous reste-t-il sinon, le fil du présent ? Cet espace inhabitable qui est pourtant le territoire du poème. C’est là que Paulina Vindeman a choisi de se tenir: « J’écris pour un présent en quête du vent ». De ce minuscule et mouvant observatoire, elle regarde avec des yeux de peintre les paysages quotidiens et leur délicat chromatisme —  bleus, verts, roses, rouges, pourpres, indigos, noirs sur fond de gris tenace —, mais aussi les lieux intimes et leurs choses simples — une cuisine, une salle de classe, une boîte à couture, une cafetière ..., le temps de la mémoire avec les joies minuscules, la douleur et la solitude, le deuil et l’exil. Tout cela pris dans une alchimie où la voix qui parle ne cesse de faire résonner en nous une voix intime et lointaine.
        Car c’est là que réside la force de ce poème : le sujet — la voix — qui s’y trame en l’écrivant, fait de nous, à notre tour, des sujets : non plus des spectateurs mais des acteurs. Puisque c’est de nous qu’il s’agit, au fond.  Nous qui sommes emportés par cette « barque noire » dont on devine trop bien les connotations funèbres que Paulina Vinderman se garde pourtant d’exploiter. Ici, pas de pathos, de trémolos, d’angoisse ténébreuse. Même si c’est de l’usure du temps et de la mort qu’il s’agit, l’écriture nous invite à les regarder en face, avec une pudeur non dénuée d’humour, cette politesse du désespoir. D’où, sans doute, la force insidieuse de ce poème qui nous poursuit longtemps comme un parfum tenace :

    Ses jours sont comptés », pense de moi
    mon autre cœur, et personne ne le dément.

        Tout s’en va, oui (« Tout s’en va vers l’hiver »). Mais en même temps tout demeure dans le présent du poème. Un présent comme une barque où nous glissons, mais non sans avoir cette faculté de regarder couler l’eau qui nous emporte, de regarder s’éloigner les crépuscules, les choses que nous avons aimées soudain traversées d’absence, mais qui un instant brillent sur la fumée du temps — « au bord de l’inexprimé » :

    Ce n’est pas le temps qui pèse sur moi, c’est
    la fumée que le temps lâche :
    une brume sans rêves, un cyprès —le mien—
    vers la blancheur du ciel.




     




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