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VIENT DE PARAÎTRE
Luis de Góngora
Fable de Polyphème et Galatée
présentation et traduction nouvelle de Jacques Ancet
POÉSIE/GALLIMARD
Le Polyphème est le poème le plus abouti de Góngora. Parfaite construction narrative, lyrique, strophique et métrique, tout y est maîtrisé jusque dans le moindre détail et tout, en même temps, est pris dans cet élan qui déborde tout travail conscient et lui donne cette intensité faite de ce croisement d’obscurité et d’incandescence qui est la poésie même.
Traduire Góngora, c’est tenter de rendre compte de ces deux versants. Car l’un ne va pas sans l’autre. Et si nuit et éblouissement sont inséparables ici, emportement et rigueur technique ne le sont pas moins. Il faudra donc tenir les deux et c’est ce que j’ai tenté de faire en conservant à la strophe du Polyphème la rigoureuse armature formelle qui la caractérise.
24
Salamandre solaire, le Chien du ciel
vêtu d’astres jetait son aboi, quand
(cheveux poudreux, d’humides étincelles
sinon d’ardentes perles transpirant)
vint Acis ; et des deux lumières belles
voyant le sommeil, leur doux Occident,
donna sa bouche, et ses yeux tant qu’il put
au sonore cristal, au cristal tu.
Glose de Dámaso Alonso
C’était un jour de canicule, quand le Soleil entre dans la constellation du chien (Can en latin). Le Chien céleste était donc vêtu de ses propres étoiles, et aboyait — comme jetant des flammes —, transformé en salamandre du ciel (puisque la salamandre peut vivre dans le feu), quand survint à l’endroit où dormait Galatée le jeune Acis. Échauffé, les cheveux couverts de poussière et suant des gouttes resplendissantes, que par leur feu et leur humidité on pourrait appeler étincelles liquides, à moins de les qualifier de perles embrasées, le jeune homme, voyant qu’un doux sommeil cachait (comme l’Occident le Soleil) les deux beaux soleils des yeux de Galatée, livra sa bouche au cristal sonore de l’eau de la source et ses yeux, autant que le lui permettait sa posture, au cristal muet (aux membres cristallins de la nymphe endormie) : il se mis donc à boire à la source et à regarder de biais la jeune fille.
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